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Therese
35. Aar nnnunc
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REYUE DES DEUX MONDEs.
heureux n’importe ou, quelque part d’ou il ne reviendra plus.
Ainsi Thérèse conjure le sort et tente de désarmer le passé.
IIlui semble un moment qu'elle va y réussir, parvenir enlin à
vivre en paix pour ses vieux jours. Wohlschein se charge
d’embarquer le chenapan, après quoi deux ou trois petits
vorages d’affaires, et puis la noce à la Pentecöle. Tout parait
sarranger, le ciel se rassérène. Un matin, un coup de télé¬
phone: Wohlschein est mort, on vient de le trouver dans son
lit, emporté par une crise cardiaque, II n’a méme pas eu le
temps de faire un testament.
Et la solitude recommence, cette fois définitive, plus grise,
plus navrante, plus inulile que jamais. Un jour, après une
longue éclipse, elle voit reparaitre son fils et, comme d’habi¬
tude, commence par un monvement de peur devant ce gibier
de prison. Mais l’apache se borne à s'’asseoir sans rien dire, et
puis doucement, d’une voix qui réveille en elle des sentiments
qu'elle avait crus éteints, il lui échappe cette parole qui résume
sa philosophie et leur commune misère:
6 Toinon plus, maman, tu n'as pas en de chance. )
C’est leseul mot humain que le malheurenx ait prononcé.
Et un Hot de pitié monte au cceur de Thérèse peur ce misé¬
rable, qui est sa eréature, qui n’a pas demandé à naitre, et qui
peut-être, au fond, ne vaut pas moins qu un autre. & Si j'avais
été une autre mère, il aurait é1é un autre hommen, se dit-elle,
et elle se ronge de douleur et de remords. Surtout un souvenir
la poursuit: le souvenir de ce qui s’était passé dans cette nuit
de son accouchement, dans la chambre, sur le lit sanglant ou
elle venait de mettre un homme au monde dans un abime de
désespoir, ale geste qu'elle n’avait pas achevé, la tentation
qu'elle avait eue plutôt qu'elle n’y avait cédé, l’instant ou,
T’espace d’une seconde, elle avait été une meurtrière 9.
Ilyalà une idée familière à M. Schnitzler, un des thèmes
sur lesquels est construite son cuvre: c’est l’importance des
pensées, la valeur unique de la conscience. Peu s’en faut qu’elle
ne soit pour lui toute la réali'é (à pen près comme elle est
pour un Schopenhauer), et c’est ce qui donne á'ses écrits tant
de résonnance et de profondeur. Déjà dans son premier roman,
cette question revient à toutes les pages: on se rappelle cet
endroit on Anna donne le jour à un petit qui ne vit pas; il
nouvre les yeux que pour les fermer, n’arrive au monde que