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10. Das Vernaechtnis
LA SEMAINE LITTERAIRE
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tionnel, peut-étre unique, par Tabondance de ses traditions, parle
il fandrait sans doute le levier puissant d’une conviction reli¬
jaillissement continuel et spontané de sa poésie, par son mélange
gieuse tres profonde on, átout le moins, d’un ideal moral tros
ge sagesse et de passion, par le pittoresque inépuisable de ses
haut ettres ferme. Et c’est ccla sans doute qui manque aux
geurs. Songez aux races mulliples dont il est le fruit, au passé
héros de M. Schnitzler, et peut-étre à l’auteur Jui-mème, et
qu'il représente, aux civilisations, si différentes, qui se sont ren¬
peut-être à ses lecteurs aussi, comme a ses eriliques.
Gontrées et combattues dans son ile! Songez qu’ici, la légende
Femonte jusqu'aux temps fabuleux d’Ulysse et de Polyphéme,
GASPARD VALLETTE.
fllus loin encore, jusqu’à ceux d’Acis, de Galatée, de Céres et de
Proserpine! Nous passons par-dessus le moyen üge, par-dessus ie

monde romain: nous sommes à l’aurore de l’hellénisme, à l’épo¬
que ou les dieux se mélaient aux hommes, à celle des Gyclopes ei
GENS ET CHOSES DE SICILE'
des géants qui furent les plus anciens habitants de l’ile. Neus
ommes done chez un peuple tres ancien, chez un des premiers
ples de l’Europe qui aient pensé, révé, trouvé des symboles
PECHEURS ET PAYSANS. — MOEURS, USAGES, TRADTTIONS POPULATRES. —
po. vl’énigme de la vie. Comment voulez-vous que rien de cela ne
LE PEINTRE DES MOEURS SICILIENNES: M. GIOVANNI VERGA. L’AR¬
sub. iste chez les descendants? Nous avons, nous, huit ou dix sié¬
TISTE ET SES MODEL.ES.
cles de civilisation: ils en ont vingt ou trente. Leurs ancètres ont
absorbé tant de sagesse et tant de poésie qu’ils en demeurent
La route de l’Eina est tres fréquentée. Ala descente, comme à
imprégnés: aussi les mélent-ils, sans le savoir, sans y songer, aux
la montée, nous aviscns ä chaque pas des paysans portés par leur
menus actes de leur laborieuse existence. Voyez ce paysan ba¬
dne ou leur mulet — les pursans siciliens n’admettant pas qu’on
sané, gravement assis sur T’arrière-train de son dne qui l’emporte
puisse se servir de ses jambes pour marcher, — ou conduisant
à petits pas: eh bien, c’est un poête. Il fait des vers, il les récite,
leurs charrettes á deux roues. Or, ces charrettes sont du plus vif
il les chante, et sa poésie vaut bien, je vous assure, celles des
intérét: il suffit de les observer pour deviner aussitôt que le
professionnels. Cet autre posséde une collection de proverbes aussi
peuple qui les a inventées est un peuple d’imagination, de poésie
bien venus que ceux de l’Eeclésiaste, et qui sont toute une philo¬
Tet de souvenirs, un peuple intelligent, arliste, dans lequel plu¬
sophie. Tous sont fidéles à des traditions que letemps a rendues
sieurs civilisations successives ont déposé, si l’on peut dire, une
sacrées et qui rythment leur vie et la dirigent avec je ne sais
culture inconsciente et räffinée à sa manière. Les chevaux, les
quelle grave élégance dont leurs personnes mèmes sont impré¬
mulets, les dnes qui les trainent, d’abord, sont harnaches avec un
gnées. Aussi, offrent-ils une mine admirable aux folkloristes,
luxe véritable: un bouquet de fleurs sur la téte, une espéce de
aux amateurs de la pocsie spontanée, aux chercheurs du pitto¬
tour rouge, piquée de grelots, sur les dos, des cillères enruban¬
resque, aux observateurs assez profonds pour deviner l’äme
nées, — tout un attirail éclatant de couleur, et presque toujours
populaire. M. le Dr Pitré, dont le Grand Prix de Turin a récom¬
entretenu avec le plus grand soin. Le charretier peut étre un gue¬
pensé récemment les admirables recherches, et M. Salomone-Ma¬
nilleux; mais son äne est habillé comme un prince. Quant à la
rino ont décrit leurs coutumes, ont recueilli Jeurs chants, leurs
charrette, elle est couverte de toutes sortes de peintures, parfois
jenx, leurs proverbes. Gräce à ces collecteurs patients et sagaces,
jusque sur les roues. Et ces peintures ne sont point indifférentes:
ces paysat.s enveloppés dans leurs capes, ces femmes si joliment
elles racontent les histoires dont se nourrit l’imagination popu¬
drapées dans la mantellind qui leur couvre la téte et les epaules,
laire, elles nous revelent ses heros prefères. Le croirez-vous? Ce
ne sont plus pour nous des énigmes indéchiffrables. Nous savons
sont les paladins, nos paladins de France, les personnages des
ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent, ce qu’ils chantent; nous con¬
Reali di Franeia dont on vend partout une histoire populaire,
naissons l’idée qu’ils se font de la famille ou de la religion; et ils
en livraisons illustrées, dont les romantiques aventures défrayent
nous apparaissent comme de braves gens, peu tendres, suscepti¬
les théätres de marionnettes. Ce peuple a gardé le goüt de la che¬
bles de brusques coups de passion, tres traditionnalistes, si l’on
valerie, des grands coups d’épée, des equétesv extraordinaires ou
peut dire, et dont les dmes singulières reflétent un tres long passé.
se mélangent les imaginations du cyele breton et celles des contes
IIs ont une dure existence: les diflicultés coutumières d la vie
arabes rapportés des croisades. IIn'a point oublié les stances de
agricole se compliquent peur eux de la distance à laquelle ils
Bojardo, d’Arioste et de Tasse. Charlemagne, Turpin, Roland,
demeurent souvent de leurs terres. Les villages sont rares dans
Morgane, Angélique sont encore tout près de lui; et son instinct
l’intérieur de l’ile: chacun va tres loin vaquer á ses cultures, et
ramène à leurs legendes d’autres chistoires , plus voisines de la
reste parfois plusieurs jours sans rentrer à la maison, couchant
réalité: M. J.-V. Widmann, le brillant écrivain bernois, qui a
alors dans ces petits payliart qui dressent leur pointe de chaume
observé de très près ces charrettes, raconte avoir reconnu sur
au milieu des champs. Tout le travail incombe à l’homme; la
Tune d’elles le personnage déjá mythique de Garibaldi, torturé par
femme ne prend part qu'aux vendanges et à la récolte des olives;
des Inquisiteurs. & Lorsque j’exprimai modestement le doute que
sauf en ces deux occasions, elle demeure à la maison, on d’ailleurs
Garibaldi alt jamais subi pareille lorture, raconte-t-il, deux ma¬
les occupations ne lui manquent pas. Entre loutes, elle a son mé¬
çons, qui transportaient des pierres de taille sur cette charrette,
tier ätisser: la paysanne qui ne serait pasune habile flleuse, serait
mne repondirent que c’était indéniable, puisque c’était peint lä, et
mal vue et méprisée. Leur métier est leur orgueil; elles disent
qu'une inscription expliquait encore que lavictime était bien Gari¬
volontiers, avec une juste fierté:
baldi... , Je n’ai pas vu Garibaldi: mais J’ai vu beaucoup de
De quatorze à cinquante ans, j’ai habillé, avec des eloffes que
batailles: batailles de Charlemagne, batailles du roi Roger, ba¬
j'ai filées de mes mains, mes freres, mes fils et les fils de mes
tailles des Sarrasins, batailles de Napoléon. J'ai reconnu aussi de
fils.
nombreux sujets bibliques, empruntès surtout à l'Ancien Testa¬
Et les cantilènes qu'elles chantent en tirant la navelte sont
ment, tels que le meurtre d’Holopherne ou Joseph vendu par ses
pleines de traits charmants, qui montrent quelle poésie elles ap¬
frères; et des sujets plus frivoles, des scènes d’amour, des dan¬
portent à leur travail:
seuses en pirouettes, et aussi des madones et des saintes, les
d Quand on prend la navette, on croirait coudre avec du fil
bonnes saintes du pays que nous retrouverons peut-étre plus
d’or. „
tard: sainte Agathe, sainte Lucie et sainte Rosalie. Sans doute, ces
& Comme brille la toile de ma flancée! Elle brille comme la
peintures nesont point des tableaux de maitres; et l’on en voll
dans les musées qui témoignent d’un art plus délicat; mais il n’y
La confection du pain est aussi, pour la paysanne, une grosse
a pas beaucoup de pays sn les charretiers et les paysans prome¬
affaire, ear cette besogne s’accomplit presque comme un rite. On
nent ainsi les souvenirs de leur histoire nationale ou ceux de leur
le fait pour la semaine, le samedi ou le lundi, jamais le dimanche
poesie.