Fuite dans les Ténèbres se caractérise,
comme toutes les nouvelles de Schnitzler,
par la beauté stricte et accomplie de la
forme, par une observation complète et sans
défaut de la vie, ettout l’effort de l’écri¬
vair: tend à nôter dansktous ses stades mys¬
térieux une éclipse morale, qui va s’as¬
sombrissant jusqu'à l’issue tragique.
Le sujer? II est fort simple: c’est le
declin d’un haut fonctionnaire, qui, arrivé
moralement et „sychiquement à la limite
de ses forces, prend un congé pour se ré¬
tablir, mais sombre peu à peu dans la fo¬
lie, essaie de lutter, n’y arrive pas, puis,
assiégé par dés imaginations de plus en
plus démentes, se laisse aller à son destin
comme un navire, après avoir lutté contre
la tempéte, se laisse couler dans les Hots.
Et il entraine son frère dans l'abime: ce
frère, qui l'aimait pourtant et qui s’occu¬
pait tendrement de lui, il le prend en
grippe, le considère comme un homme sans
cceur, comme un rival dangereux, et il le
tue.
On le voit: rien de recherché. rien de
fantastique dans l'affabulation. Ce qui fait
la valeur et l’intérêt du livre, c’est son
contenu. Et, d’ailleurs, dans les cuvres
vraiment grandes, quelle est l'’importance
du sujet? Déjà, dans de précédents ou¬
vrages (en particulier dans Magemoiselle
Eise), Schnitzler avait traité des thèmes
analogues avec un art magistral. Mais, cette
fois, il vraiment atteint les sommets que
l’on ne dépasse pas Le récit de cette lente
et implacable évolution qui, d’une base psy¬
chique normale, tend à une existence de
plus en plus perdue dans les nuées vagues,
crépusculaires et chimériques de la folie
grandissante, avec, de temps en temps, un
rappel de la réalité heureuse, un retour au
bon sens, un réveil, mais un rappel, un
retour, un réveil de moins en moins longs
et, pour finir, la chute dans la démence to¬
tale — ce récit est poignant et presque phy.
siquement douloureux, à force de vérité et
de puissance. Gar il est tout en contrastes
et soumet le lecteur, pour ainsi dire, à une
douche écossaise littéraire. Ces successions
d’ombres et de lumieres, de désir joyeux
st franc de profiter de la vie et de sombres
maginations, soupconneuses à l’égard de
tout le monde, de douceur du souvenr et
1’oppression désespérée, de bonheur er de
neurasthénie aigué, d’optimisme et d’épon¬
vante à l’idée de glisser dans les u téne¬
ores n sans pouvoir se retenir : telle est
'atmosphère contrastée et double de ce
dernier livre de Schnitzler, qui, au moins
du point de vue de la construction litté¬
raire, de l’exposition et de la gradation,
est sans doute ce que l'auteur a écrit de
plus parfait.
„
II faut souhaiter que Fuite dans les Té¬
nebres trouve bientôt un traducteur. Ar¬
thur Schnitzler est trop peu connu chez
nous, et cette cuvre ultime est une des
plus représentatives de son talent. Elle
rend un son étrange, comme d’un adieu à
une vie plus beile, qui appartient désormais
zu passé, et à une Autriche qui n’existe
Nus que dans I'histoire, et elle est, en quel¬
jue sorte, une pieuse pelletée de terre ar¬
istique sur la tombe d’une époque qui in¬
arnait Arthur Schnitzler et qui a perdu
wec lui son dernier grand témoin et son
lernier grand romancier.
R. H.
G
lucht
d
Finsternis
36. F. in 1e
box 6/3
comme toutes les nouvelles de Schnitzler,
par la beauté stricte et accomplie de la
forme, par une observation complète et sans
défaut de la vie, ettout l’effort de l’écri¬
vair: tend à nôter dansktous ses stades mys¬
térieux une éclipse morale, qui va s’as¬
sombrissant jusqu'à l’issue tragique.
Le sujer? II est fort simple: c’est le
declin d’un haut fonctionnaire, qui, arrivé
moralement et „sychiquement à la limite
de ses forces, prend un congé pour se ré¬
tablir, mais sombre peu à peu dans la fo¬
lie, essaie de lutter, n’y arrive pas, puis,
assiégé par dés imaginations de plus en
plus démentes, se laisse aller à son destin
comme un navire, après avoir lutté contre
la tempéte, se laisse couler dans les Hots.
Et il entraine son frère dans l'abime: ce
frère, qui l'aimait pourtant et qui s’occu¬
pait tendrement de lui, il le prend en
grippe, le considère comme un homme sans
cceur, comme un rival dangereux, et il le
tue.
On le voit: rien de recherché. rien de
fantastique dans l'affabulation. Ce qui fait
la valeur et l’intérêt du livre, c’est son
contenu. Et, d’ailleurs, dans les cuvres
vraiment grandes, quelle est l'’importance
du sujet? Déjà, dans de précédents ou¬
vrages (en particulier dans Magemoiselle
Eise), Schnitzler avait traité des thèmes
analogues avec un art magistral. Mais, cette
fois, il vraiment atteint les sommets que
l’on ne dépasse pas Le récit de cette lente
et implacable évolution qui, d’une base psy¬
chique normale, tend à une existence de
plus en plus perdue dans les nuées vagues,
crépusculaires et chimériques de la folie
grandissante, avec, de temps en temps, un
rappel de la réalité heureuse, un retour au
bon sens, un réveil, mais un rappel, un
retour, un réveil de moins en moins longs
et, pour finir, la chute dans la démence to¬
tale — ce récit est poignant et presque phy.
siquement douloureux, à force de vérité et
de puissance. Gar il est tout en contrastes
et soumet le lecteur, pour ainsi dire, à une
douche écossaise littéraire. Ces successions
d’ombres et de lumieres, de désir joyeux
st franc de profiter de la vie et de sombres
maginations, soupconneuses à l’égard de
tout le monde, de douceur du souvenr et
1’oppression désespérée, de bonheur er de
neurasthénie aigué, d’optimisme et d’épon¬
vante à l’idée de glisser dans les u téne¬
ores n sans pouvoir se retenir : telle est
'atmosphère contrastée et double de ce
dernier livre de Schnitzler, qui, au moins
du point de vue de la construction litté¬
raire, de l’exposition et de la gradation,
est sans doute ce que l'auteur a écrit de
plus parfait.
„
II faut souhaiter que Fuite dans les Té¬
nebres trouve bientôt un traducteur. Ar¬
thur Schnitzler est trop peu connu chez
nous, et cette cuvre ultime est une des
plus représentatives de son talent. Elle
rend un son étrange, comme d’un adieu à
une vie plus beile, qui appartient désormais
zu passé, et à une Autriche qui n’existe
Nus que dans I'histoire, et elle est, en quel¬
jue sorte, une pieuse pelletée de terre ar¬
istique sur la tombe d’une époque qui in¬
arnait Arthur Schnitzler et qui a perdu
wec lui son dernier grand témoin et son
lernier grand romancier.
R. H.
G
lucht
d
Finsternis
36. F. in 1e
box 6/3