Therese
35. Ju
box 6/2
459
THERESE OU LES AMOURS VIENNOISES.
taine culture, il s’accroit par les soins et par l’attention; il est
aussi une habitude. Thérèse n'a jamais eu ce bonheur. Elle
soccupe des enfants d’autrui et frustre le sien de tout letemps
qu'elle donne à des indifférents. Le pis est qu'elle ne se donne que
trop: souvent, ces petits étrangers lui prennent le meilleur de
son cceur; elle leur compare sa pregéniture, ce petit rustaud
mal élevé, jargonnant, grossier et paresseux, qui sent le fumier
et commence à ressembler à Casimir; et elle s’accuse de ses
préférences pour des enfants plus raffinés, souffrant de son
injustice, car enfin reprocher à son petit des défauts qui la
crucifient, c’est comme si elle lui reprochait d’être plus pauvre,
moins aimable, moins heureux que les petits riches.
Enfin, pour se fixer, mettre un peu d’ordre dans sa vie et
pour être plus libre de se consacrer à son fils, elle renonce
àse placer, loue un petit appartement et décide d’ouvrir un
cours pour les fillettes du quartier. Pour la première fois, elle
aun foyer, un & chez elle v. Elle n’est plus obligée de trotter,
de courir, elle cesse de dépendre du hon plaisir des gens. Une
de ses élèves, Thilda, la fille d’un maroquinier, l’invite le
dimanche à déjeuner, lui fait des petits cadeaux gentils, l’em¬
mène à l’Opéra, la traite enfin comme une amie.
Et puis, au bout de deux ou trois ans, quand la jeune fille
se marie en Hellande, les relations continuent en son absence
avec le père, ce brave homme de Wohlschein, un quinqua¬
génaire encore vert, un peu chauve, commun, mais de deur
délicat. IIs se mettent ensemble, vont aux petits théätres, mais
Thérèse ne cesse pas de donner des leçons: c’est son honneur,
à elle, d’avoir toujours su se suffire. Elle n’est pas une femme
entretenue. Mais voici qu’elle tombe malade: force est bien
de ne plus refuser les petits secours de son ami, comme elle
suit ses conseils à l’égard de son fils. Un grand souci; ce fils,
une épine, une croix qui lui pèse de plus en plus lourd. II a
décidément tout à fait mal tourné: un vaurien, un affreux
voyou, fourbe, ivrogne, débauché, qui fait partie d’une bande
de filous, n’ouvre la bouche que pour extorquer de l’argent ou
vomir des ordures. C’est sa terreur maintenant. Thérèse n’en
peut plus, ne respire plus un moment tranquille, d’abord
couverte de honte la première fois qu’elle apprend que Franz
fait de la prison, et puis devenue indifférente, n’espérant plus
qu'une chose, se débarrasser de son fardeau, expédier ce mal¬
35. Ju
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THERESE OU LES AMOURS VIENNOISES.
taine culture, il s’accroit par les soins et par l’attention; il est
aussi une habitude. Thérèse n'a jamais eu ce bonheur. Elle
soccupe des enfants d’autrui et frustre le sien de tout letemps
qu'elle donne à des indifférents. Le pis est qu'elle ne se donne que
trop: souvent, ces petits étrangers lui prennent le meilleur de
son cceur; elle leur compare sa pregéniture, ce petit rustaud
mal élevé, jargonnant, grossier et paresseux, qui sent le fumier
et commence à ressembler à Casimir; et elle s’accuse de ses
préférences pour des enfants plus raffinés, souffrant de son
injustice, car enfin reprocher à son petit des défauts qui la
crucifient, c’est comme si elle lui reprochait d’être plus pauvre,
moins aimable, moins heureux que les petits riches.
Enfin, pour se fixer, mettre un peu d’ordre dans sa vie et
pour être plus libre de se consacrer à son fils, elle renonce
àse placer, loue un petit appartement et décide d’ouvrir un
cours pour les fillettes du quartier. Pour la première fois, elle
aun foyer, un & chez elle v. Elle n’est plus obligée de trotter,
de courir, elle cesse de dépendre du hon plaisir des gens. Une
de ses élèves, Thilda, la fille d’un maroquinier, l’invite le
dimanche à déjeuner, lui fait des petits cadeaux gentils, l’em¬
mène à l’Opéra, la traite enfin comme une amie.
Et puis, au bout de deux ou trois ans, quand la jeune fille
se marie en Hellande, les relations continuent en son absence
avec le père, ce brave homme de Wohlschein, un quinqua¬
génaire encore vert, un peu chauve, commun, mais de deur
délicat. IIs se mettent ensemble, vont aux petits théätres, mais
Thérèse ne cesse pas de donner des leçons: c’est son honneur,
à elle, d’avoir toujours su se suffire. Elle n’est pas une femme
entretenue. Mais voici qu’elle tombe malade: force est bien
de ne plus refuser les petits secours de son ami, comme elle
suit ses conseils à l’égard de son fils. Un grand souci; ce fils,
une épine, une croix qui lui pèse de plus en plus lourd. II a
décidément tout à fait mal tourné: un vaurien, un affreux
voyou, fourbe, ivrogne, débauché, qui fait partie d’une bande
de filous, n’ouvre la bouche que pour extorquer de l’argent ou
vomir des ordures. C’est sa terreur maintenant. Thérèse n’en
peut plus, ne respire plus un moment tranquille, d’abord
couverte de honte la première fois qu’elle apprend que Franz
fait de la prison, et puis devenue indifférente, n’espérant plus
qu'une chose, se débarrasser de son fardeau, expédier ce mal¬