II, Theaterstücke 11, (Reigen, 1), Reigen: Frankreich, Seite 77

n
Aiche.
zier de Paris


& La Rondes d’Arthur Schnitzler,
au Theatre de iAvenue.
& Ce qui est curieux chez Schmtzler, ce qui donne du relief d son théäire ei particu¬
lierement à La Ronde, c’est le contraste entre un contenu sans valeur et un contenant
précieux. 9
ment de couleurs. La pièce, disons-le, exigeait qu’il
La compagnie Pitoéff — réduite à six artistes par
en edt, puisque, par neuf fois, il y fallait cacher
la nature méme du spectacle qu'elle nous présente —
aux spectateurs le neeud de la situation. Lart de
vient de monter avec beaucoup de goüt et d’ingénio¬
Pitoéff consiste à meubler ces silences suggestifs.
sité une pièce d’Arthur Schnitzler traduite de l'alie¬
mand par Suzanne Clauser, M. Rémon et W. Bauer.
A Ludmilla Pitoéff revient une part notable du
Une pièce? Pas exactement. Ce sont dix dialo¬
succès de la soirée. Elle est successivement la fille,
gues distincts. Aucune intrigue proprement dite ne
la femme de chambre, la jeune femme, la midinette
les relie entre eux. Quant à l’action intérieure à
et Tactrice. Elle occupe done la scène continument,
ce qui constitue une espéce d’acrobatie artistique
chacun de ces dialogues, elle est rudimentaire et
partout la méme. Elle comporte trois mouvements :
dont elle se tire à son honneur. Il n’est pas en son
un homme s efforce d’obtenir qu'une femme se donne
pouvoir de beaucoup modifier sa voix. Elle compose
à lui; tandis qu’il y réussit, le rideau tombe un
du moins ses attitudes et sa mimique avec cette
instant ou bien le décor pivote; l’homme et la femme
habileté, cette agilité et ce sentiment de l’ensemble
se retrouvent face à face et puis se séparent après
qui lui appartiennent et dont elle n’a jamais fait un
une conversation dont ie rythme et le ton viennent
plus adroit usage.
de subir un singulier changement.
M. Raymond Dagand a du mérite à étre un soldat
Le premier dialogue a lieu la nuit, près dr. Danube,
mal équarri. C’est à M. Louis Salon qu’incombe la
entre une fille et un soldat; il est brutal et la fille
täche peu aisée de jouer la scène du n fiasco „ vite
n’en tire aucun bénsfice pécuniaire; le second abou¬
réparé. lI s’en acquitte avec goüt et discrétion et
tit à la déconvenue d’une femme de chamhre délais¬
ce nest point sa faute, mais bien celle de Tauteur,
sée par le soldat aussitôt après qu’elle lui a cédé; le
si, personnifiant ensuite l’homme de lettres, il se
troisième marque un bref succès de la femme de
voit obligé de verser un tantinet dans la caricature.
cham bre auprès de son jeune maitre; mais ce der¬
M. Geno-Ferny est assez subtilement un mari égoiste,
nier s’empresse d’aller au café des qu il a obtenu ce
suffisant, sans-géne et étranger au sentiment de la
qu'il voulait. Le quatrième, un des plus curieux et
justice, bref un mari comme les femmes en subis¬
des mieux venus, est l’histoire d’un e fiasco n du
saient, parait-i, jadis, tout en prenant quelque
Jeune homme qui a bien su avoir un rendez-vous
plaisir à les bafouer. Quant à M. Pitoöff, il apporte
de Ja femme du monde, mais qui ne se montre pas
vraiment trop de modestie à ne point permettre qu’on
— du moins des l’abord .— capable d’en profiter.
T’entende.
Le cinquième met en présence la jeune femme et

le mari; sous couvert dune scène d’amour, c’est ici
la naissance du désir d’infidélité qui est suggérée
Si cette pièce avait été composée récemment, on ne
avec une sobre et délicate ironie. Au sixième, le
manquerait point de remarquer qu’elle se ressent de
mari rend, sans le savoir, à la jeune femme la
l’influence du cinéma par le penchant dont elle
monnaie de sa piéce en la trompant avec une midi¬
témoigne à schématiser les röles et à éluder tout
nette et en organisant une liaison stable. Au sep¬
T’essentiel du métier dramatique qui est de faire pro¬
tieme, la midinette fait la connaissance intime de
gressivement converger T’attention sur le fond dun
T'homme de lettres et Arthur Schnitzler juge ses
caractère. Mais les héros de Schnitzler n’ont ni fond
confrères sans bienveillance. Le huitième est un
ni caractère; ce ne sont que des prétextes. Au de¬
véritable concours de cabotinage entre l’actrice et
meurant, La Ronde a été écrite bien avant la fin du
I’homme de lettres. Dolteur ne se montre d’ailleurs
siècle dernier, et lorsqu’il n’était point question de
pas moins sévère envers les liommes du monde et
cinéma, II serait donc contraire à la chronologie
le neuvieme dialogue, entre l’actrice et le comte,
de croire que ces dialogues imitent 6 Mélo 9 ou
déballe une belle collection de platitudes préten¬
Chambre dhôtel v.
tieuses. Au dixième enfin, le comte se réveille mal
dégrisé, ##r la chambre de la fille et, s il témoigne
IIs sont d’inspiration naturaliste, ce qui revient à
à sa comvarne encore somnolente un peu de ten¬
uire conventionnels et pessimistes. Les personnages
dresse et dhumanité, c’est parce que ses souvenirs
en seraient attristants si lon pouvait les prendte
embrumés lui font croire qu’il a passé la nult seul
au sérieux. Mais, précisément, on ne peut pas, car
ils ne se silhouettent que pour se faire les porte¬
à cuver son ivresse.
parole d’une philosophie qui vondrait étre amère et
L’euvre finit comme elle avait commencé: par
deprimante, mais qui nest que puérilement pri¬
une aventure de la fille et sur une réapparition du
maire. Que l'homme se détache de la femme aussi¬
premier décor ou elignote au bout du fleuve la lu¬
tôt qu’il a tiré d’elle son plaisir, et parce qu’il l’en
mière sale d’un réverbère.
a tiré, cest un & poncif , conventionnel au point
La mise en scène et les décors sont de Pitoëff,
que l’on n’y saurait plus préter la moindie atten¬
qu’il convient d’en feliciter vivement. Le public a
tion. La femme, d’ailleurs, a bien sa manière à elle
souvent applaudi certains de ces décors, trous de
de répondre à l’amour par l’oubli du désir et c’est
lumière bordés de nuit. Cétait justice. IIs jouen“
en exagérant tout aussitôt cet instinct de propriété
dans le spectacle un role fort important. IIs sont, à
qui transforme la maitresse sinon en mère, du moins
T’occasion, des plus amusants et mème spirituels.
en tyran ou, plus vulgairement, en & crampon 9.
Car on peut avoir de T’esprit autremient qu’avec des
Oue l’individualité soit peu de chose au regard des
mots; et Pitoöff en a par ie choix d’un accessoire,
forces obscures qui nous mènent et nous imposent
par la disposition d’un éclairage, par un arrange¬