box 38/2
2. Cuttings
2-
S
wohgeiE
Gernon R-28.33
„Schnitt aus:
APPUI FRANCAIS
M. de la Grande Armde, 83, XVI“
DECEMBRE 1931
Arihur Schnitzier et ie Juif moderne
Stl'apres-guerre a vu éclore une vaste litté¬
rature analytique et scientifique se réclamant de
Freud, il n’en est pas moins certain qu’avant
d’en venir à influencer les modes littéraires, la
psychologie commença par subir elle-méme les
effets de ces dernières. Les origines zu freudisme
remontent à cette époque trouble de“ déca¬
dence 2 ou, dans un remous d’idées entrecho¬
quées, se désagrégeait le neo-romantisme. Atra¬
vers la poésie qui avait perdu le nombre et la
rime, à travers la couleur qui, privée de ses va¬
leurs, servait non plus à rendre la stabilité du
monde extérieur, mais à annoncer sa fragmen¬
tation, à travers tout le style de l’époque, diva¬
guant et épris de mathématiques, disparate et
se targuant d’avoir, le premier, approché l’inef¬
fable Un, éthéré, immatériel, à travers ce trop
d’esprit et ce trop de chair naissait lhomme mo¬
derne et son double fatidique: le subconscient.
S’il fut un penseur qui, comme Socrate, aida à
la naissancé de ce démon familier, c’est bien Ar¬
thur Schnitzler, concitoyen de Sigmund Freud.
Cela se passait dans une belle ville du centre,
connue pour ses valses, son fleuve bleu, son chic,
sa frivolité, son scepticisme et sa haine des
Juifs. Les Juifs s’en sont bien vengés.
Médecin par ses études, poête symboliste à
ses débuts, auteur dramatique de vaste enver¬
gure, Schnitzler excella surtout dans la nouvelle.
Il en fit une sorte de contre-partie de Maupas¬
sant. Tandis que le génie latin du Français fait
de chaque récit une ceuvre précise, achevée, d’ou
jaillit une connaissance lumineuse de la nature
humaine, Schnitzler, au contraire, se complait
à effacer les contours exacts de ses nouvelles,
laissant planer sur elles comme une incertitude,
comme une échappée sur le chaos universel. II
prend ses héros — ses femmes surtout, et n’est¬
ce pas pour cela qu'il préfère les femmes? — aux
moments troubles ou, du fond de leur étre, monte
un sentiment obscur et inconnu. La caractéris¬
tique de ses héros se réduit, en somme, à la per¬
ception de l’élément inconscient, au conflit de
l’individu avec cet élément dont la mystérieuse
répercussion se manifeste dans les événements
réels.
Or, I'homme moderne par excellence, c’est-à¬
dire le moins uni, le plus inquiet, le plus en proie
aux contradictions est, pour Schnitzler, le Juif.
II l’est déjà par sa situation sociale, par cette
double vie qu'il mène parmi les gennemis aux¬
quels il faut tenir téte et les siens qu'il méprise.
C’est Schnitzler qui a lancé la fameuse anec¬
dote du Juif polonais qui, ayant pris place dans
un compartiment ou se trouve un monsieur in¬
connu de lui, se comporte fort convenablement
jusqu'au moment ou, reconnaissant en son
compagnon de voyage un coreligionnaire, il
s’exclame: 4 Asol!# et met les pieds sur la
banquette d’en face.
Voici comment un personnage de Schnitzler
commente cette anecdote . La tragi-comédie
du judaisme, c’est l’absence totale de respect en¬
tre Juifs. Ainsi ne peuvent se respecter les pri¬
sonniers de guerre concentrés dans un camp
ennemi, ceux du moins qui ont perdu tout es¬
poir de recouvrer la liberté s...
L’antisémitisme est ce traquenard extérieur
qui tue chez le Juif la conception harmonieuse
de la vie, qui le rend impuissant à s’extérioriser
et le pousse vers un monde intérieur d’autant
plus complexe et désolé.
Lorsque, en 1908, après avoir créé la plupart
de ses meilleures ceuvres, Schnitzler aborde,
pour la première fois, le problème juif, ou plu¬
tôt le problème de & l’homme juif :, il se voit
obligé, devant la complexité de la matière,
d’abandonner son genre favori, mais limité,
pour une forme plus ample. Il fait donc un ro¬
man: Le chemin de la liberté.
C’est un roman de conteur, composé de
toute une série de récits détachés. La construc¬
tion en est läche, et l’épisode central, qui relate
les amours d’un jeune baron autrichien, compo¬
siteur amateur, et d’une jeune fille, dont il se
sépare après la mort de leur enfant, n’est, en
quelque sorte, qu'une broche sur laquelle l’auteur
a enfilé une série de dialogues ou plutôt de mo¬
nologues. Car le baron ne fait qu’écouter des
Juifs qui parlent. Parvenus ou philosophes,
snobs ou hommes de science, assimilés ou sio¬
nistes, ils ne demandent qu’à s’analyser, qu'à
étaler leurs plaies. Le véritable héros du roman
est Heinrich Bermann, écrivain et penseur.
Son histoire est parallele à celle du baron
Georg. Comme lui, il est fils d’un homme re¬
marquable, d’un juriste réputé qui, patriote
autrichien ardent, sur le point de participer
activement à la renaissanze du
isté au fond de la province par
usémite. Là il sombra dans la
vant survivre à son amour mé
triche.
Bermann aussi a un roman:
actrice, étre bizarre et incertain
représente comme tel. Toujours
saurait accepter un amour trand
Traquée par la jalousie de son
humeur sombre et fantasque, la
trouve le repos au fond d’un étan
se sent atteint dans sa propre vit
Homme de lettres, il veut éer##
une longue et douloureuse gestat
avortent. Il est trop raisonneur,
trop profond 4 connaisseur de
bien trop impitoyable 2, pour tro
dans la création. Il est condamf
par 4 excès d’intelligence 2. —
au-dessus des partis, dit-il. Je s##
sorte dans tous et contre tous. Je
justice divine, mais la justice dit
encore: & Pour posséder un mon
suis obligé de le recréer chaque f0
C’est pourquoi, cependant qu
Georg qui, lui, se meut dans un
bien organisé, est capable de (
aventure amoureuse du dehors e
ensuite vers la réalisation et l’équi
tier, tandis que d’amateur il devi
chestre, Bermann ne parvient pa
jeu cérébral de son existence, au
que du dedans. La réalité n’en ve
personnage n’incarne mienx que
par le suicide l’épigraphe de la
gie dramatique de Schnitzler
Lamie — Le perroquet vert:
Nous jouens tous: sage est cel
L’inaptitude foncière de Berman
impuissance d’extériorisation créa
vice essentiel de son étre. Car si
nant vers la liberté sont cachte
memes 2, il ne saurait les trouver
Schnitzler ne s’arréta point sur
désespérée. Après avoir esquissé d
velles quelques figures de Juifs, il
d’années après. Comme jadis l’amj
blème juif l’avait poussé de la no
man, ainsi maintenant il abandor
mordant et aphoristique de sketch
2. Cuttings
2-
S
wohgeiE
Gernon R-28.33
„Schnitt aus:
APPUI FRANCAIS
M. de la Grande Armde, 83, XVI“
DECEMBRE 1931
Arihur Schnitzier et ie Juif moderne
Stl'apres-guerre a vu éclore une vaste litté¬
rature analytique et scientifique se réclamant de
Freud, il n’en est pas moins certain qu’avant
d’en venir à influencer les modes littéraires, la
psychologie commença par subir elle-méme les
effets de ces dernières. Les origines zu freudisme
remontent à cette époque trouble de“ déca¬
dence 2 ou, dans un remous d’idées entrecho¬
quées, se désagrégeait le neo-romantisme. Atra¬
vers la poésie qui avait perdu le nombre et la
rime, à travers la couleur qui, privée de ses va¬
leurs, servait non plus à rendre la stabilité du
monde extérieur, mais à annoncer sa fragmen¬
tation, à travers tout le style de l’époque, diva¬
guant et épris de mathématiques, disparate et
se targuant d’avoir, le premier, approché l’inef¬
fable Un, éthéré, immatériel, à travers ce trop
d’esprit et ce trop de chair naissait lhomme mo¬
derne et son double fatidique: le subconscient.
S’il fut un penseur qui, comme Socrate, aida à
la naissancé de ce démon familier, c’est bien Ar¬
thur Schnitzler, concitoyen de Sigmund Freud.
Cela se passait dans une belle ville du centre,
connue pour ses valses, son fleuve bleu, son chic,
sa frivolité, son scepticisme et sa haine des
Juifs. Les Juifs s’en sont bien vengés.
Médecin par ses études, poête symboliste à
ses débuts, auteur dramatique de vaste enver¬
gure, Schnitzler excella surtout dans la nouvelle.
Il en fit une sorte de contre-partie de Maupas¬
sant. Tandis que le génie latin du Français fait
de chaque récit une ceuvre précise, achevée, d’ou
jaillit une connaissance lumineuse de la nature
humaine, Schnitzler, au contraire, se complait
à effacer les contours exacts de ses nouvelles,
laissant planer sur elles comme une incertitude,
comme une échappée sur le chaos universel. II
prend ses héros — ses femmes surtout, et n’est¬
ce pas pour cela qu'il préfère les femmes? — aux
moments troubles ou, du fond de leur étre, monte
un sentiment obscur et inconnu. La caractéris¬
tique de ses héros se réduit, en somme, à la per¬
ception de l’élément inconscient, au conflit de
l’individu avec cet élément dont la mystérieuse
répercussion se manifeste dans les événements
réels.
Or, I'homme moderne par excellence, c’est-à¬
dire le moins uni, le plus inquiet, le plus en proie
aux contradictions est, pour Schnitzler, le Juif.
II l’est déjà par sa situation sociale, par cette
double vie qu'il mène parmi les gennemis aux¬
quels il faut tenir téte et les siens qu'il méprise.
C’est Schnitzler qui a lancé la fameuse anec¬
dote du Juif polonais qui, ayant pris place dans
un compartiment ou se trouve un monsieur in¬
connu de lui, se comporte fort convenablement
jusqu'au moment ou, reconnaissant en son
compagnon de voyage un coreligionnaire, il
s’exclame: 4 Asol!# et met les pieds sur la
banquette d’en face.
Voici comment un personnage de Schnitzler
commente cette anecdote . La tragi-comédie
du judaisme, c’est l’absence totale de respect en¬
tre Juifs. Ainsi ne peuvent se respecter les pri¬
sonniers de guerre concentrés dans un camp
ennemi, ceux du moins qui ont perdu tout es¬
poir de recouvrer la liberté s...
L’antisémitisme est ce traquenard extérieur
qui tue chez le Juif la conception harmonieuse
de la vie, qui le rend impuissant à s’extérioriser
et le pousse vers un monde intérieur d’autant
plus complexe et désolé.
Lorsque, en 1908, après avoir créé la plupart
de ses meilleures ceuvres, Schnitzler aborde,
pour la première fois, le problème juif, ou plu¬
tôt le problème de & l’homme juif :, il se voit
obligé, devant la complexité de la matière,
d’abandonner son genre favori, mais limité,
pour une forme plus ample. Il fait donc un ro¬
man: Le chemin de la liberté.
C’est un roman de conteur, composé de
toute une série de récits détachés. La construc¬
tion en est läche, et l’épisode central, qui relate
les amours d’un jeune baron autrichien, compo¬
siteur amateur, et d’une jeune fille, dont il se
sépare après la mort de leur enfant, n’est, en
quelque sorte, qu'une broche sur laquelle l’auteur
a enfilé une série de dialogues ou plutôt de mo¬
nologues. Car le baron ne fait qu’écouter des
Juifs qui parlent. Parvenus ou philosophes,
snobs ou hommes de science, assimilés ou sio¬
nistes, ils ne demandent qu’à s’analyser, qu'à
étaler leurs plaies. Le véritable héros du roman
est Heinrich Bermann, écrivain et penseur.
Son histoire est parallele à celle du baron
Georg. Comme lui, il est fils d’un homme re¬
marquable, d’un juriste réputé qui, patriote
autrichien ardent, sur le point de participer
activement à la renaissanze du
isté au fond de la province par
usémite. Là il sombra dans la
vant survivre à son amour mé
triche.
Bermann aussi a un roman:
actrice, étre bizarre et incertain
représente comme tel. Toujours
saurait accepter un amour trand
Traquée par la jalousie de son
humeur sombre et fantasque, la
trouve le repos au fond d’un étan
se sent atteint dans sa propre vit
Homme de lettres, il veut éer##
une longue et douloureuse gestat
avortent. Il est trop raisonneur,
trop profond 4 connaisseur de
bien trop impitoyable 2, pour tro
dans la création. Il est condamf
par 4 excès d’intelligence 2. —
au-dessus des partis, dit-il. Je s##
sorte dans tous et contre tous. Je
justice divine, mais la justice dit
encore: & Pour posséder un mon
suis obligé de le recréer chaque f0
C’est pourquoi, cependant qu
Georg qui, lui, se meut dans un
bien organisé, est capable de (
aventure amoureuse du dehors e
ensuite vers la réalisation et l’équi
tier, tandis que d’amateur il devi
chestre, Bermann ne parvient pa
jeu cérébral de son existence, au
que du dedans. La réalité n’en ve
personnage n’incarne mienx que
par le suicide l’épigraphe de la
gie dramatique de Schnitzler
Lamie — Le perroquet vert:
Nous jouens tous: sage est cel
L’inaptitude foncière de Berman
impuissance d’extériorisation créa
vice essentiel de son étre. Car si
nant vers la liberté sont cachte
memes 2, il ne saurait les trouver
Schnitzler ne s’arréta point sur
désespérée. Après avoir esquissé d
velles quelques figures de Juifs, il
d’années après. Comme jadis l’amj
blème juif l’avait poussé de la no
man, ainsi maintenant il abandor
mordant et aphoristique de sketch