RUE DU TEMBRE, 19,
Adresse
Die
14 FEVRIER 1933
Signature
und
Exposition
A propos du théâtre des Marionnettes
de Salzbourg
En 1911-1912, j'allai rendre visite à Gor-Alors le théâtre ?... La réponse demande
réflexion
don Craigh; je le trouvai dans son labora¬
N'est-il pas curieux que de très grands
toire d'études de Florence. Il s'agissait de
esprits aient été si pris par le Théâtre des
lui arracher quelques tuyaux afin de re
Marionnettes ? Nous savons que Musset,
présenter à « L'Œuvre » Hamlet que lui
même s'apprêtait à monter au Théâtre Boucher, Banville et même le père Hugo
s'y passionnaient. Un des derniers,
Artistique de Stanislawski à Moscou.
l'apogée de son métier de dramaturge,
Professant un grand respect pour les
conceptions de Craigh, il s'agissait avant Maurice Maeterlinck, sentant peut-être les
tréteaux lui manquer sous les pieds, écri¬
tout de m'instruire. Peut-être s'amu-
vit un chef-d'œuvre pour le Théâtre des
de moi, c'est fort possible ; rien ne m'obli¬
Marionnettes, « Intérieur ».
ge à en être certain aujourd'hui, mais il
Si aujourd'hui, nous ne recherchons pas
me déclara tout net — et sur ce chapitre
la marinette homme, comme l'a fort
j'ai été souvent moi-même d'accord avec
lui que l'on ne pouvait rien obtenir justement fait remarquer Robert Kemp, il
est vrai que personne d'entre nous n'y pen¬
d'acteurs en chair et en os lorsqu'on était
se, c'est que la sélection s'est accomplie
un metteur en scène « inspiré » et que
dans l'esprit d'un petit nombre, que nous
désormais, il travaillerait sur des marion¬
sommes écœurée du théâtre, et que ce pe¬
nettes.
tit nombre soupire après la folie et même
Sa théorie qui m'est devenue familière,
l'extraordinaire Nous en sommes arrivés
à cette minute là m'aurit quelque peu
à subir l’emportement de notre imagina¬
mais ce diable d'homme avait toujours des
tion surexcitée.
conceptions imprévisibles. Il avait, disait
Il y a quelques années, Franchain,
il, jusque là échoué dans ses espérances
Terrasse, Bonnard se passionnèrent pour
en triturant des vivants, il entendait
les marionnettes. Les Italiens en furent
sculpter, animer les marionnettes avec
plus de succès. Dans le Cirque, car le lieu toujours férus. Nous avons connu les fi
gure bouffonnes de Podrece qui ont
où il me parlait et où son génie s'escri
quelque peu égale celles de Warton, et les
mait, était un petit cirque très ancien,
Warton ne sont venus à la marionnette
me désigna entre autres choses cinq ou
que par une longue hérédité de misères
six personnages automates presque auss
de travail dans une famille d'acteurs fo¬
grands que nature ; il se glorifiait d'en
rains. Av at celles du Docteur Aicher, si
être le créateur et de pouvoir leur prêter
subtiles, s vivantes, je retrouve celles de
la vie.
M. Paul ramm, de Munich. Il vint à Pa¬
Longuement. Craigh me développa se¬
ris en 1913 et donna quelques séances
théories. Craigh était un homme habité »
chez les particuliers. Mortier, l'ancien di¬
Ce qu'il défendait, c'est-à-dire l'autorité
recteur du Théâtre Michel, très excité par
exclusive du metteur en scène négligent
ce que je lui fit entendre, en comprit le
l'auteur, dédaignant la pensée du com¬
charme, il voulait en risquer l'aventure,
dien, pouvait être écouté avec déférence ;
cela ne se fit pas.
je le fis, je me gardai bien de lui répli¬
Paul Bramm avait installé la Marion¬
quer par mes idées ; je m'en suis trouvé nette en quelque sorte à quart de côte, en¬
bien. Craigh at il évolue ? Je l'ignore...
tre la nature (style Craigh) et celle du
Mais la théorie de la puissance d'évoca¬
Docteur Aicher, mais le répertoire de Paul
tion des marionnettes m'est restée dans Bramm, de Munich (la troupe s'appelait
l'esprit. On sait que les peuples vraiment
les Artistes Munichois de Marionnettes)
artistes ont tous eu un goût pour la ma¬
était quelque peu le même que celui de
rionnette. Les marionnettes permettent
M. Aicher. La musique y tenait sa grande
l'unité de jeu irréalisable au théâtre. Per¬
part; on y applaudissait « La Légende
sonne n'ignore qu'en Extrême-Orient
de Faust », « Bastien et Bastienne » de
(comme autrefois chez les Incas ou chez
Mozart, « La Servante Maîtresse », de
les Aztèques, l'art de la marionnette est
Jean Pergolèse, « Le Roi Violon et la
considéré comme un art supérieur et ra¬
Princesse Clarine », de Mahlman, « Le
Devin de village », de Jean-Jacques Rous¬
finé.
seau, Maeterlinck, Schnitzler. Des décora
Si les enfant les apprécient si fort, c'est
qu'instinctivement, pour la plupart, ils teurs tels que Salzmann collaboraient aux
décors. Il est évident que Paul Bramm
sont plus sensibles à l'art que les grandes
cherchait toutefois des succès plus popu¬
personnes, soyons en assurés Trop sou
laires que le Docteur Aicher, il créait le
vent, on déforme l'esprit des enfants, mais
Guignol en quelque sorte pour les bons
il est impossible de s'étendre ici longue
enfants de Munich et de l'Allemagne du
ment sur un tel sujet
Sud; il y croyait trouver ses ressources.
Mais plus la marionnette est petite, et
L'Art de M. Aicher est beaucoup plus fin,
le Docteur Aicher de Salzbourg a toute¬
mais je le vois poindre cependant après
les raisons de jouissance, plus on peut lu-
celui de Paul Bramm. S'il est permis de
suggérer une âme, raison de plus pour
le dire, il est beaucoup plus « de porce¬
que la marionnette soit Lilli tienne.
laine », mais il est glorieux de pouvoir
A l'audition d'une belle œuvre entre
suggérer pour cette raison, il faut féliciter
cinq ou six personnes seulement, on goût
Mme Homberg, et encourager les jeunes à
un plaisir qu'aucun acteur génialement
prendre le chemin de l'Ecole Normale de
déformé - ils le sont tous ne pourra
musique pendant qu'il en est temps en-
jamais atteindre ; la netteté, la fraîcheu¬
core. Mozart est là. Les anciens aussi peu
de la marionnette est évocatrice, c'est un
vent y aller s'ils n'ont pas le goût trop
apanage devant lequel on doit s'incliner, corrompu. La perspective est charmante,
L'art de la marionnette est un art tout à le cadre est petit et chacun en prend pour
son rêve.
fait supérieur, peut-être un jour trouvera
LIGNE-POE.
ton une liaison avec le ciné parlant.