VII, Verschiedenes 13, 1932–1933, Seite 56

13.
Miscellan,
box 4476
.
DI
ÉCHOS
PLACE DE L'OPERA, 6, IX
Adresse
Date:
24 JUIN 1933
Signature
position
CHRONIQUE
DE VIENNE
Comme il est difficile d'être un
témoin! L'an passé, à cette épo¬
que, je voyageais en Espagne. Un
matin, sortant de l'Alhambra,
j'achetais un journal de Paris et
j'y las qu’il y avait eu la grève
générale à Madrid, je venais de
passer huit jours insoucieux; le
lendemain, j'appris qu'une bombe
avait éclaté à Grenade où je me
trouvais alors. La grève m'avait
échappé et je n'avais pas entendu
la bombe. Tout à l'heure, je me
suis assis, à Vienne, dans un de
ces beaux fauteuils jaunes que
hôtel Bristol a disposés sur le
Ring, de chaque côté de son en¬
trée. La flanerie est charmante,
ainsi comprise, et je me suis di¬
verti plus d'une fois à regarder les
passants, de ce parterre. Pourtant,
en 1921, la grâce de Vienne y prit
un jour un caractère dramatique.
On mourait de foim, non seule¬
ment dans les faubourgs, mais
chez des bourgeois ruinés par
l'inflation. De vieilles familles
expropriées par les moratoires et
la planche à billets se retrou¬
vaient soudain avec pour toute
fortune des milliers de couronnes
en papier qui leur permettaient
tout juste d'acheter la ration de
pain d'une semaine. De pauvres
êtres erraient sur les boulevards,
pourrait-il enfin trouver son
n'osant pas encore mendier, cher
chant on ne sait quel remède à calme ? Ces jolies personnes qui
possèdent, vraiment, une grâce ori¬
leur détresse. Une fin d'après¬
midi, ils lancèrent des pierres ginale, ces vieux bourgeois raffi¬
dans les glaces des hôtels. Ce fut nés, ce peuple bienveillant n'ont¬
ils pas le droit de rester eux-mê¬
une courte échauffourée : une
mes sans avoir à sceller une al¬
lambée de colère contre ceux que
ces malheureux considéraient liance qui les a déjà perdus ?..
comme les profiteurs de leur Et pourquoi en sont-ils au point
où la nation se divise et où la po¬
ruine. Et, de fait, on rencontrai¬
alors, dans ces hôtels, d'habiles litique prend ce caractère qui gâte
trafiquants qui recueillaient des la vie sociale
Je ne vais pas chercher la part
trésors dans ce naufrage. Cette
de responsabilité que nous
curée était très vilaine, et je ne
sais si un pays (je pense au mien) avons, ni même celle de nos de¬
voirs. Durant ces derniers quinze
aurait la force ou la patience de la
supporter deux fois.
ans, qu'on appelle la paix, et où
je me suis quelque peu promené
Trois ans plus tard, les vien¬
mois les plus légers avaient appris dans le monde, j'ai perdu le goût
de trouver des solutions aux pro¬
eux-mêmes les règles du jeu, les
blèmes, encore moins d'en propo¬
lois de la hausse et de la baisse, e
faisaient des fortunes sur la dé- ser, ce qui n’est ni de mon rôle,
ni de ma compétence. Mais quand
faillance du franc. Le trottoir, vu
des fauteuils jaunes, avait repris
je vois dans ce pays l'agitation re¬
un air prospère, les spéculateurs, naître sous l'impulsion de la
comme M. Castiglion ou M. le
nouvelle Allemagne, quand
sel, plongeant sans cesse dans ce
comprends qu'à la douceur de
Vienne on essaye de substituer
gouffre sans fond of tombaient