VII, Verschiedenes 13, 1933–1934, Seite 34


où j'ai rendez-vous à midi, un fonc¬
tionnaire, d'ailleurs important, trouve
moyen de me faire faire le pied de
grue jusqu'à midi et demie.
Je ne suis pas à Paris : je ne pro¬
teste pas. Je retrouve seulement
l'Autriche bonasse d'avant guerre, où
le temps semblait avoir été donné
par Dieu, pour le gaspiller.
Dans les hôtels
Les garçons, dans les hôtels et les
restaurants chics de Vienne, ont tou¬
jours cette élégance désinvolte et par
faite qui me faisait dire : « Quel dom¬
mage qu’ils ignorent le français : on
ferait d’eux des jeunes premiers dé¬
licieux dans nos théâtres. »
Les maîtres d'hôtel, qui ont vu dé¬
filer tant d'amoureux, se former et
se défaire tant de couples et s'opérer
des chassés croisés comme dans une
comédie de Schnitzler, sont, à
Vienne, des philosophes souriants
auxquels or confierait un jeune
homme de bonne famille un peu
niais, pour lui apprendre la vie, la
diplomatie et les femmes. Dès qu’ils
reconnaissent un client, surtout s'il
est accompagné d'une actrice célè¬
bre à Vienne, ils s'empressent, ils
papillonnent leur sourire se fait pa¬
ternel et flatteur. Don Juan reste leur
dole, et quand on a un peu abusé
de la vie, on se demande si, après
tout, ces philosophes du pourboire
n'ont pas un peu raison...
Car il n'est que deux solutions: ou
Spinoza (pour certains, c'est l'imita¬
tion de Jésus-Christ) ou bien le plai¬
sir, à Vienne, en prenant l’existence
comme une comédie légère dont on
jouerait le premier acte, à perpé¬
tuité...
Au Musée
Une heure libre, je me fais con¬
duire au musée.
D'avance, je sais que je ne retrou¬
verai pas mes enthousiasmes d'autre
fois. A force d’avaler des crapeaux,
dans la vie, disait un autre, il faut
que le cœur se bronze ou se brise...
Parfois, il se ratatine, seulement.
Le musée s'est fortement enrichi.
Notre Louvre n'a peut-être pas fait
autant d'acquisitions... On a déplacé.
reclassé les œuvres. Je retrouve mes
vieux amis : leur place importe peu
Velasquez enfonce ici tous les pein¬
tres portraitistes du monde, sauf Bot¬
ticelli : il contient Goya, d'avance. Ou
plutôt son gendre, del Mazzo, fait
la transition entre lui et Goya (à sup¬
poser que « La Famille du Peintre »,
jadis attribuée à Velasquez et depuis
quelques années passées à del Mazzo
par le caprice des conservateurs, ne
soit pas de Velasquez : il serait tout
de même surprenan que ce del
Mazzo ait été un peintre aussi prodi¬
gieux que son beau-père...)
Au passage, je sombre dans le
Rembrandt, je dis bonjour aux seins
gonflés, au ventre charnu d'Hélène
Fourment (qu'eût dit Rubens de la
sinueuse Greta Garbo?), le Corrège
émotif me rappelle de charmants
souvenirs, la « Danae » du Titien
enseigne qu'un peu d'or est un talis¬
man auprès des dames, le « Maximi¬
lien le » de Durer évoque le destin
de la dynastie habsbourgeoise. Même
après Londres, le « Portrait de fem¬
me » de Hogarth reste l’une des ou¬
vres maîtresses de ce mangeur de
roastbeef inégal et furieux...
Un petit marbre...
Mais ce n'est pas là ce que je suis
venu chercher : dans les galeries
grecques, je sais un petit marbre, à
demi brisé, les restes d’un Hekataion
athénien, 30 centimètres de haut...
Trois jeunes filles, aux angles d'une
stèle, les mains enlacées, fixées, de