VII, Verschiedenes 13, 1933–1934, Seite 35

verai pas mes enthousiasme d'au¬
fois. A force d’avaler des crapeaux,
dans la vie, disait un autre, il faut
que le cœur se bronze ou se brise..
Parfois, il se ratatine, seulement.
Le musée s'est fortement enrichi.
Notre Louvre n'a peut-être pas fait
autant d'acquisitions... On a déplacé,
reclassé les œuvres. Je retrouve mes
vieux amis : leur place importe peu¬
Velasquez enfonce ici tous les pein¬
tres portraitistes du monde, sauf Bot
ticelli : il contient Goya, d'avance. Ou
plutôt son gendre, del Mazzo, fait
la transition entre lui et Goya (à sup¬
poser que « La Famille du Peintre »,
jadis attribuée à Velasquez et depuis
quelques années passées à del Mazzo
par le caprice des conservateurs, ne
soit pas de Velasquez : il serait tout
de même surprenan que ce de
Mazzo ait été un peintre aussi prodi¬
gieux que son beau-père...)
Au passage, je sombre dans le
Rembrandt, je dis bonjour aux seins
gonflés, au ventre charnu d'Hélène
Fourment (qu'eût dit Rubens de la
sinueuse Greta Garbo?), le Corrège
émotif me rappelle de charmants
souvenirs, la « Danae » du Titien
enseigne qu'un peu d'or est un talis¬
man auprès des dames, le « Maximi¬
lien le » de Durer évoque le destin
de la dynastie habsbourgeoise. Même
après Londres, le « Portrait de fem¬
me » de Hogarth reste l’une des ou¬
vres maîtresses de ce mangeur de
roastbeef inégal et furieux...
Un petit marbre...
Mais ce n’est pas là ce que je suis
venu chercher : dans les galeries
grecques, je sais un petit marbre, à
demi brisé, les restes d’un Hekataion
athénien, 30 centimètres de haut...
Trois jeunes filles, aux angles d'une
stèle, les mains enlacées, fixées, de
dos, dans une danse qu'elles ne
reprendront pas. Leurs formes, leur
sourire sont usés par le temps...
La grâce chaste de leurs mouve¬
ments, le rythme de leur geste est un
trésor ineffable, comme la statuaire
grecque en a produit vingt témoigna¬
ges, qui restent les titres de noblesse
de l'humanité. A demi hiératiques,
souples toutefois dans leur vêtement
qu'anime le vent de la danse, et sous
leur tiare voulue par le rite qu'elles
perpétuent...
J'avais vingt ans : au Dépôt des
Marbres, où Rodin m'avait fixé ren¬
dez-vous pour lui lire des choses que
j'avais écrites sur lui, je dis que je
verais de Vienne : je vins à parler
de ce minuscule Hekatalon athénien.
Rodin, le faune trapu, se leva alors
de la selle où il était accoude, et
comme jaillissant du sol, de la terre
fruste et sacrée dont il était l'expres¬
sion peu loquace, me saisissant dans
ses bras courts et musclés, le sculp¬
teur me souleva presque. Du moins,
effaré, il me le sembla :
— Vous l'avez vu, fit-il : une mer¬
veille, un chef-d'œuvre. Un baiser
sur la pierre, et c'est inscrit pour
l'éternité.
Ce que Rodin reconnaissait, c'était
d'avance, son style, son écriture, dans
cette œuvre fluide, où les volumes
paraissent à peine indiqués, et exis¬
tent cependant avec une précision
qui est la plus parfaite maîtrise.
Non loin de là est la jeune fille
exquise, nue et cependant voilée d'un
tissu ineffable, qui ne la dissimule
pas. L'amour, à son oreille, murmure
des secrets.
jeunesse, qu'on ne retrouve pas
LOUIS THOMAS.
(A suivre.)