35. Therese
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REVUE DES DEUX MONDES.
vinglaine d’années) et qui rappelle beaucoup plus Gil Blas on
Moll Flanders que le roman machiné, le roman-crise ou roman¬
drame de Balzac ou de Dostoievsky. Le vrai roman à l’alle¬
mande (je ne dis pas la nouvelle du genre de Herther) a tou¬
jours conservé son allure de chronique; chronique est le nom
mème que M. Schnitzler donne à son livre. Il a eu soin d’en
observer la diction tranquille et transparente. Je songeais enle
lisant au mot de son cher Casanova: La Judie de Rousseau, le
plus mauvais des romans, parce qu’il en est le plus éloquent.„
Appelons éloquence non seulement la rhétorique, mais toute
affechation, tout ce qui s’écarte du naturel, l’écrilure artiste, le
styie figuré et truqué, vous aurez le contrepied de ce quiffait
le charme de M. Arthur Schnitzler: le ton uni, l'aisance, la
justesse simple ou rien ne brille, ou rien nese fait remarquer,
l'absence de prétention, la gräce d’une prose sans embarras, un
art dont le dernier mot est de se faire oublier.
Vous rappelez-vous Une uie, ce chef-d’cuvre de Maupassant,
qui arrachait à Tolstol des cris d’admiration, et que celui-cia
sans doute cherché à imiter dans le beau récit d’une paysanne,
paru après la mort du maitre, et intitulé Murie (car on n'a pas
encore tout dit sur les sources de Tolstoi et sur les secrets de
sentravail). Je ne serais pas surpris que l’auteur de Tiérése ait
eu ce grand modele en vue (peut-être a-t-il songé aussi au Can¬
lique des Cantiques de Sudermann quand il s’est proposé de
représenter à son tour une existence de femme, Thistoire d’une
vie entière, de l’adolescence à la mort, des premiers baltements
et de l’éveil du cceur jusqu’aux désillusions suprèmes et à la
tombe, dans son désenchantement, dans toute sa désolante
généralité).
Par un raffinement morose, pour présenter son thème en
quelque sorte à l’état pur, dans une condition absolue de veu¬
vage, l'auteur a voulu que son héroine ne füt pas mariée:
seule, toujours seule, toujours trahie, sans compagnon dans le
désert. II a voulu que son livre füt réduit (on verra pourquoi)
aux deux éléments dont se compose la chaine de l’existence: la
mère, l’enfant, car Thérèse a aimé et n’est que trop le jouet de
Tamour. Déja, dans son premier roman, c’était lhistoire
d’une séduction, une histoire infiniment triste, celle d’une
jeune fille de bonne maison, intelligente, distinguée, que son
cceur égare, qui fait la faute de ne pas se marchander, de se
donn
m
on
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vinglaine d’années) et qui rappelle beaucoup plus Gil Blas on
Moll Flanders que le roman machiné, le roman-crise ou roman¬
drame de Balzac ou de Dostoievsky. Le vrai roman à l’alle¬
mande (je ne dis pas la nouvelle du genre de Herther) a tou¬
jours conservé son allure de chronique; chronique est le nom
mème que M. Schnitzler donne à son livre. Il a eu soin d’en
observer la diction tranquille et transparente. Je songeais enle
lisant au mot de son cher Casanova: La Judie de Rousseau, le
plus mauvais des romans, parce qu’il en est le plus éloquent.„
Appelons éloquence non seulement la rhétorique, mais toute
affechation, tout ce qui s’écarte du naturel, l’écrilure artiste, le
styie figuré et truqué, vous aurez le contrepied de ce quiffait
le charme de M. Arthur Schnitzler: le ton uni, l'aisance, la
justesse simple ou rien ne brille, ou rien nese fait remarquer,
l'absence de prétention, la gräce d’une prose sans embarras, un
art dont le dernier mot est de se faire oublier.
Vous rappelez-vous Une uie, ce chef-d’cuvre de Maupassant,
qui arrachait à Tolstol des cris d’admiration, et que celui-cia
sans doute cherché à imiter dans le beau récit d’une paysanne,
paru après la mort du maitre, et intitulé Murie (car on n'a pas
encore tout dit sur les sources de Tolstoi et sur les secrets de
sentravail). Je ne serais pas surpris que l’auteur de Tiérése ait
eu ce grand modele en vue (peut-être a-t-il songé aussi au Can¬
lique des Cantiques de Sudermann quand il s’est proposé de
représenter à son tour une existence de femme, Thistoire d’une
vie entière, de l’adolescence à la mort, des premiers baltements
et de l’éveil du cceur jusqu’aux désillusions suprèmes et à la
tombe, dans son désenchantement, dans toute sa désolante
généralité).
Par un raffinement morose, pour présenter son thème en
quelque sorte à l’état pur, dans une condition absolue de veu¬
vage, l'auteur a voulu que son héroine ne füt pas mariée:
seule, toujours seule, toujours trahie, sans compagnon dans le
désert. II a voulu que son livre füt réduit (on verra pourquoi)
aux deux éléments dont se compose la chaine de l’existence: la
mère, l’enfant, car Thérèse a aimé et n’est que trop le jouet de
Tamour. Déja, dans son premier roman, c’était lhistoire
d’une séduction, une histoire infiniment triste, celle d’une
jeune fille de bonne maison, intelligente, distinguée, que son
cceur égare, qui fait la faute de ne pas se marchander, de se
donn
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