35. Therese
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THERESE OU LES AMOURS VIENNOISES.
son pantalon; et entre deux doigts de la main, qui dépassaient
de la poche droite, jl balançait son feutre mou. " Ou'est-ce
que ce Casimir? Un pauvre diable de raté, demi pinceau, demi
violon, ayant le bagout du rapin, un de ces loustics qui font
rire la galerie et donnent la comédie gratis dans les tramways,
tucoient les garçons de brasseries, bref, le type du rigolo.
Meitié pitié, moitié ennui, ce qui devait arriver, arrive. Trois
mois de liaison, de rendez-vous inquiets dans des garnis sor¬
dides, et puis le Casimir s’éclipse sans laisser d’adresse le jour
ou il apprend que Thérèse est enceinle.
Alors commence pour la malheureuse la torture qu'on
devine. L’auleur ne nous lait gräce de rien: il ne feint pas de
croire Thérese meilleure qu’elle n est, il ne nous cache aucune
de ses faiblesses, de ses révoltes et de ses instants de lächeté.
Par peur de se trahir et par respect humain, elle n’ose
S’ouvrir à personne. Elle consulte, comme toujours, l’orach
des timides, la quatrième page des journaux, se risque à visiler
deux ou trois matrones charitables. Enfin, elle cesse de lutter;
elle accepte l’idée de sa maternité, et il lui vient de cette réso¬
lution, sinon une grande joie, du moins un grand repos.
Toutesa détresse la reprend la nuit de ses couches, ou seule,
terrifiée, sans secours, dans une chambre d’hôtel, la misérable
met au monde un fils aussi chétif, aussi exténué, aussi mori¬
bond qu'elle-méme. Vit-il? Respire-t-il? Comme il a l’air
vieux, ce petitl... S’il allait mourir? S’il était mort? Ne
vandrait-il pas mienx qu’il le füt? Va, dodo, mon petit. II ne
fait pas hon sur cette terre. Adieu, adieu, petit Casimir... Et la
funebre berceuse se continue pendant quelques pages gisantes,
d’un gémissement si prostré que le souvenir vous hante
jusqu'au bout comme un leit-motiu d’épuisement et de déses¬
poir, complainte de néant qui mele la tombe et le berceau.
Rarement des accents si tristes ont accompagné une naissance,
comme un accablement et un présage de deuil: soucieuse,
lugubre aurore, enfance non désirée qui ne fut pas une joie
pour ta mère, cut non risere parentes.
L’enfant est porté en nourrice, et un nouveau supplice
sappréte, celui de ne pouvoir étre mère qu’en cachelte et à la
dérobée, coupé de quelques rares joies, la première dent, les
premiers mots, les premiers pas. Mais il faut vivre, s’habiller,
payer la pension du petit: et c’est de nouveau le tour des places
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THERESE OU LES AMOURS VIENNOISES.
son pantalon; et entre deux doigts de la main, qui dépassaient
de la poche droite, jl balançait son feutre mou. " Ou'est-ce
que ce Casimir? Un pauvre diable de raté, demi pinceau, demi
violon, ayant le bagout du rapin, un de ces loustics qui font
rire la galerie et donnent la comédie gratis dans les tramways,
tucoient les garçons de brasseries, bref, le type du rigolo.
Meitié pitié, moitié ennui, ce qui devait arriver, arrive. Trois
mois de liaison, de rendez-vous inquiets dans des garnis sor¬
dides, et puis le Casimir s’éclipse sans laisser d’adresse le jour
ou il apprend que Thérèse est enceinle.
Alors commence pour la malheureuse la torture qu'on
devine. L’auleur ne nous lait gräce de rien: il ne feint pas de
croire Thérese meilleure qu’elle n est, il ne nous cache aucune
de ses faiblesses, de ses révoltes et de ses instants de lächeté.
Par peur de se trahir et par respect humain, elle n’ose
S’ouvrir à personne. Elle consulte, comme toujours, l’orach
des timides, la quatrième page des journaux, se risque à visiler
deux ou trois matrones charitables. Enfin, elle cesse de lutter;
elle accepte l’idée de sa maternité, et il lui vient de cette réso¬
lution, sinon une grande joie, du moins un grand repos.
Toutesa détresse la reprend la nuit de ses couches, ou seule,
terrifiée, sans secours, dans une chambre d’hôtel, la misérable
met au monde un fils aussi chétif, aussi exténué, aussi mori¬
bond qu'elle-méme. Vit-il? Respire-t-il? Comme il a l’air
vieux, ce petitl... S’il allait mourir? S’il était mort? Ne
vandrait-il pas mienx qu’il le füt? Va, dodo, mon petit. II ne
fait pas hon sur cette terre. Adieu, adieu, petit Casimir... Et la
funebre berceuse se continue pendant quelques pages gisantes,
d’un gémissement si prostré que le souvenir vous hante
jusqu'au bout comme un leit-motiu d’épuisement et de déses¬
poir, complainte de néant qui mele la tombe et le berceau.
Rarement des accents si tristes ont accompagné une naissance,
comme un accablement et un présage de deuil: soucieuse,
lugubre aurore, enfance non désirée qui ne fut pas une joie
pour ta mère, cut non risere parentes.
L’enfant est porté en nourrice, et un nouveau supplice
sappréte, celui de ne pouvoir étre mère qu’en cachelte et à la
dérobée, coupé de quelques rares joies, la première dent, les
premiers mots, les premiers pas. Mais il faut vivre, s’habiller,
payer la pension du petit: et c’est de nouveau le tour des places