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11. Frau Bertha Garlan
A. GI I. A I a
310
LA REVUE
trop soumise, pour étre jamais la révoltée, mais se ressaisissant pour¬
tant quand elle voit son fils en péril, et lorsqu'il succombe, redevenant
l’épouse dévouée reportant tout son attachement sur le père qui, de
meme qu'elle, est écrasé par T’irréparable. Parfois l’accent de ces
breves nouvelles est ibsénien. Telle & La femme de Maslan ) qui,
trompée à plusieurs reprises par le mari indigne qu'elle n'a cesse
d’aimer, le repudie enfin, jure de ne plus le revoir et, malgré les clans
de son cceur qui la pousse vers lui, tient farouchement son serment
en refusant de se réconcilier au lit de mort de l’adultère, mais salue
son cercueil et reçoit le corps chez elle, parce que, dégagé de l’äme
vile, l’objet de la piété conjugale lui appartient maintenant sans que
la rivale hafe le lui dispute.
L’age n’a pas d’empire non plus sur Spielhagen. Encore un de
ceux que la France ignore. On n'a traduit de lui dans la Collection
rouge Hachette, si nous ne nous trompons, qu'une nouvelle insigni¬
fiante. Et cependant il compte au nombre des maitres de la littérature
allemande du xix“ siècle. II fut un des promoteurs du mouvement So¬
cialiste et il est hors de conteste que tels de ses romans, comme 7n
Reih und Glied dont le héros Léo est une incarnation de Lassalle, ou
comme & Enclume et Marteau (Hammer und Ambos), ou se trouve
vigoureusement exposé le conflit entre les castes qui oppriment et
celles qui sont opprimées, furent lus dans les milieux prolélaires
comme des pages d’évangile social. Son Sturmjluf est une composi¬
tion puissante que l’on peut, sans se tromper, appeler géniale et ou
sont mis en paralléle les éléments qui ont transformél'Allemagne de¬
puis que la France lui a fourni les milliards de la guerre. Spielhagen
était jeune alors; il méritait autant et méme plus que d’autres d’étre
renommé à l’étranger; il nele fut point; en France on fitsur lui le si¬
lence, qui n’est pas encore rompu. En Allemagne son renom, qui fut
grandjadis, palit peu à peu devant lesastres nouveaux; les jeunes leju¬
gentsuranné; les vieux seulslui conservent une fidélité reconnaissante;
mais le socialisme ne se souvient pas qu'il a pris rang parmi les
apôtres. Quelques esprits exempts de préjugés rendent toutefois
justice à son cuvre. IIs reconnaissent etn'ont cessé d’admirer en lui
le penseur qui a su approfondir les & Natures problématiques ..—
c’est le titre de son premier volume publié en 1861.— Ils conviennent
qu'avec une psychologie très süre et une technique très exercée, il
sonda les ames de son temps, et non seulementles révéla à elles¬
mèmes mais leur inspira un sursum qui fut fécond. IIs lui savent gré
d’avoir suivi le progrès et, comme Théodore Fontane, d’avoir cher¬
ché à conserver dans ses livres la fraicheur de la jeunesse, en yréu¬
sissant souvent. Ce vieillard — il est né en 1820 — est pour eux non
un aleul, mais un compagnon, et ses toutes dernières publications,
comme Sacrisice qui parut en 1899, gardent l’empreinte tres marquce
de sa forte virilité. Malgré ces sympathies, iln'a plus — on ne saurail
je nier — qu'un cercle restreint de lecteurs. Son & Freigeborene )
(Née libre) qui a été mis en vente il Fa quelques mois, n'a pas eu, à
LE ROMAN ALLEMAND EN 1901
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beaucoup prés, le mäma nsultat de librairie queles volumes de Mue Eb¬
ner. A vrai dire, ce roman, quoiqu’offrant des pages de grande
Meaute, est en somme peu captivant. L'héroine est admirablement
décrite, mais il nya qu elle qui intéresse et l’intrigue ou elle parait
est läche, le dénouement faible. C’est une monographie de la jeune
femme qui lutte contre les réalités de la vie, non en & Ecolière „
mais sans autre but, ce semble, que de trouver à sa philosophie un
champ d’éxpériences successives, et ce sont des expériences presque
uniformement amères. Elle s’y enlise, ne parvenant pas à s’en évader,
ne trouve le bonheur ni en son enfance dans la solitude du couvent
ni, à un age plus avancé, dans le mariage. La teinte de ce récit lan¬
guissant est généralement terne. II plaira aux psychologues, le
grand public n’en saisira pas la portée, et les snobs y seront indif¬
férents. C’est dommage, car Spielhagen reste quand méme un maitre,
que l’on peut placer en regard de ceux du jour les plus en vue, en
regard de Sudermann, par exemple, qu’il égale, quand il ne le sur¬
passe point.
Adolf Wilbrandt est néen 1847. I pourrait étre considéré comme
appartenant à une génération venue après celle de Marie Ebner et
de Frédéric Spielhagen, mais il est bien de leur temps, ayant débuté
à peu près à la méme époque qu’eux et méme avant Mre d’Eschen¬
bach. Nourri dans le sein de l’Université, il en a subi l’influence, et
quoique le journalisme, la littérature, le théätre l’aient pris de
bonne heure, à 27 ans, il n’a pas dépouillé ses attaches avec sa pre¬
mière éducation. Le moule ou se sont jetées ses pensées de jeunesse
ne s’est pas complétement brisé. On reconnait dans ses productions
à un je ne sais quoi le docteur en philosophie, l’étudiant studieux
qui a suivi régulièrement ses cours et passé régulièrement ses
examens, summa cum laude. Ses drames lui ont valu beaucoup de
couronnes et d’ovations publiques ou officielles. Son & Gracchus# et
son & Maitre de Palmyre, ont mérité l’un et l’autre le prix Grill¬
parzer; en 1878, l’empereur lui a décerné le prix Schiller. C’est un
lauréat académique. En France, il aurait certainement un des qua¬
rante fauteuils. Comme Gethe il ne s’est pas contenté d’écrire pour
la scène et d’y cueillir des lauriers, il a voulu la diriger et a pris
après Dingelstedt le gouvernail de la barque à la Hofburg. L’auteur
draratique a fait tort à la réputation du romancier.
Toutefois ce dernier jouit d’une grande estime. Franz, qu’il vient
de donner à la librairie Cotta, est tres lu. La critique lui reproche de
ne pas étre moderne. A la vérité, Wilbrandt ne le fut jamais au sens
exact du mot, — puisqu’il a pris de préférence ses sujets dans l’anti¬
quité ou dans le moyen-äge, comme Gracchus ou comme Criemhilde;
mais il est trop observateur pour ne pas voir ce qui se passe sous ses
yeux et pour ne pas analyserles vivants qui s’agitent devant lui. Cet
idéaliste ne regardepas que le ciel; il voit à ses pieds le grouillement
des foules etne fait pas comme l'astronome de la fable quilombe dans
un puits. Quel que soit le jugement à porter sur lui, on ne peut mé¬
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trop soumise, pour étre jamais la révoltée, mais se ressaisissant pour¬
tant quand elle voit son fils en péril, et lorsqu'il succombe, redevenant
l’épouse dévouée reportant tout son attachement sur le père qui, de
meme qu'elle, est écrasé par T’irréparable. Parfois l’accent de ces
breves nouvelles est ibsénien. Telle & La femme de Maslan ) qui,
trompée à plusieurs reprises par le mari indigne qu'elle n'a cesse
d’aimer, le repudie enfin, jure de ne plus le revoir et, malgré les clans
de son cceur qui la pousse vers lui, tient farouchement son serment
en refusant de se réconcilier au lit de mort de l’adultère, mais salue
son cercueil et reçoit le corps chez elle, parce que, dégagé de l’äme
vile, l’objet de la piété conjugale lui appartient maintenant sans que
la rivale hafe le lui dispute.
L’age n’a pas d’empire non plus sur Spielhagen. Encore un de
ceux que la France ignore. On n'a traduit de lui dans la Collection
rouge Hachette, si nous ne nous trompons, qu'une nouvelle insigni¬
fiante. Et cependant il compte au nombre des maitres de la littérature
allemande du xix“ siècle. II fut un des promoteurs du mouvement So¬
cialiste et il est hors de conteste que tels de ses romans, comme 7n
Reih und Glied dont le héros Léo est une incarnation de Lassalle, ou
comme & Enclume et Marteau (Hammer und Ambos), ou se trouve
vigoureusement exposé le conflit entre les castes qui oppriment et
celles qui sont opprimées, furent lus dans les milieux prolélaires
comme des pages d’évangile social. Son Sturmjluf est une composi¬
tion puissante que l’on peut, sans se tromper, appeler géniale et ou
sont mis en paralléle les éléments qui ont transformél'Allemagne de¬
puis que la France lui a fourni les milliards de la guerre. Spielhagen
était jeune alors; il méritait autant et méme plus que d’autres d’étre
renommé à l’étranger; il nele fut point; en France on fitsur lui le si¬
lence, qui n’est pas encore rompu. En Allemagne son renom, qui fut
grandjadis, palit peu à peu devant lesastres nouveaux; les jeunes leju¬
gentsuranné; les vieux seulslui conservent une fidélité reconnaissante;
mais le socialisme ne se souvient pas qu'il a pris rang parmi les
apôtres. Quelques esprits exempts de préjugés rendent toutefois
justice à son cuvre. IIs reconnaissent etn'ont cessé d’admirer en lui
le penseur qui a su approfondir les & Natures problématiques ..—
c’est le titre de son premier volume publié en 1861.— Ils conviennent
qu'avec une psychologie très süre et une technique très exercée, il
sonda les ames de son temps, et non seulementles révéla à elles¬
mèmes mais leur inspira un sursum qui fut fécond. IIs lui savent gré
d’avoir suivi le progrès et, comme Théodore Fontane, d’avoir cher¬
ché à conserver dans ses livres la fraicheur de la jeunesse, en yréu¬
sissant souvent. Ce vieillard — il est né en 1820 — est pour eux non
un aleul, mais un compagnon, et ses toutes dernières publications,
comme Sacrisice qui parut en 1899, gardent l’empreinte tres marquce
de sa forte virilité. Malgré ces sympathies, iln'a plus — on ne saurail
je nier — qu'un cercle restreint de lecteurs. Son & Freigeborene )
(Née libre) qui a été mis en vente il Fa quelques mois, n'a pas eu, à
LE ROMAN ALLEMAND EN 1901
311
beaucoup prés, le mäma nsultat de librairie queles volumes de Mue Eb¬
ner. A vrai dire, ce roman, quoiqu’offrant des pages de grande
Meaute, est en somme peu captivant. L'héroine est admirablement
décrite, mais il nya qu elle qui intéresse et l’intrigue ou elle parait
est läche, le dénouement faible. C’est une monographie de la jeune
femme qui lutte contre les réalités de la vie, non en & Ecolière „
mais sans autre but, ce semble, que de trouver à sa philosophie un
champ d’éxpériences successives, et ce sont des expériences presque
uniformement amères. Elle s’y enlise, ne parvenant pas à s’en évader,
ne trouve le bonheur ni en son enfance dans la solitude du couvent
ni, à un age plus avancé, dans le mariage. La teinte de ce récit lan¬
guissant est généralement terne. II plaira aux psychologues, le
grand public n’en saisira pas la portée, et les snobs y seront indif¬
férents. C’est dommage, car Spielhagen reste quand méme un maitre,
que l’on peut placer en regard de ceux du jour les plus en vue, en
regard de Sudermann, par exemple, qu’il égale, quand il ne le sur¬
passe point.
Adolf Wilbrandt est néen 1847. I pourrait étre considéré comme
appartenant à une génération venue après celle de Marie Ebner et
de Frédéric Spielhagen, mais il est bien de leur temps, ayant débuté
à peu près à la méme époque qu’eux et méme avant Mre d’Eschen¬
bach. Nourri dans le sein de l’Université, il en a subi l’influence, et
quoique le journalisme, la littérature, le théätre l’aient pris de
bonne heure, à 27 ans, il n’a pas dépouillé ses attaches avec sa pre¬
mière éducation. Le moule ou se sont jetées ses pensées de jeunesse
ne s’est pas complétement brisé. On reconnait dans ses productions
à un je ne sais quoi le docteur en philosophie, l’étudiant studieux
qui a suivi régulièrement ses cours et passé régulièrement ses
examens, summa cum laude. Ses drames lui ont valu beaucoup de
couronnes et d’ovations publiques ou officielles. Son & Gracchus# et
son & Maitre de Palmyre, ont mérité l’un et l’autre le prix Grill¬
parzer; en 1878, l’empereur lui a décerné le prix Schiller. C’est un
lauréat académique. En France, il aurait certainement un des qua¬
rante fauteuils. Comme Gethe il ne s’est pas contenté d’écrire pour
la scène et d’y cueillir des lauriers, il a voulu la diriger et a pris
après Dingelstedt le gouvernail de la barque à la Hofburg. L’auteur
draratique a fait tort à la réputation du romancier.
Toutefois ce dernier jouit d’une grande estime. Franz, qu’il vient
de donner à la librairie Cotta, est tres lu. La critique lui reproche de
ne pas étre moderne. A la vérité, Wilbrandt ne le fut jamais au sens
exact du mot, — puisqu’il a pris de préférence ses sujets dans l’anti¬
quité ou dans le moyen-äge, comme Gracchus ou comme Criemhilde;
mais il est trop observateur pour ne pas voir ce qui se passe sous ses
yeux et pour ne pas analyserles vivants qui s’agitent devant lui. Cet
idéaliste ne regardepas que le ciel; il voit à ses pieds le grouillement
des foules etne fait pas comme l'astronome de la fable quilombe dans
un puits. Quel que soit le jugement à porter sur lui, on ne peut mé¬