11. Frau Bertha Garlan
box 2/1
LES SEMAILLES — JANVIER 1902
62
(amourette) qu’on joue en toute ville eten tout temps.
Pour me préciser, je dirai que M. Schnitzler est un
Alfred Capus allemand, — ou plutôt viennois: il en
a la légèreté de touches, le don de savoir ne pas ap¬
puyer sur des situations périlleuses, et l’humeur un
peu sentimentale, mème parmi le rire.
J’appréciais moins M. Schnitzler comme romancier,
et voici que je viens de recevoir un roman, — ou plu¬
tôt une longue nouvelle: Frau Bertha Garlan, qui,
sans prétention aucune, n’en est pas moine un petit
chef-d’teuvre.
C’est l’histoire banale et redoutable d’une femme
amoureuse — une de ces Temmes amoureuses comme
on en rencontre tanten Allemagne, qui semblent avoir
perdu leur équilibre vital, et dont le corps n’est plus
qu'un calice qui s’offre. — Bertha est éprise d’un mu¬
sicien qu'elle a connu toufe jeune au Conservatoire,
qu'elle a aimé nafvement —- et qui est devenu célébre
et riche. La vic les a séparés pendant dix années;
veuve et libre, elle lui écrit à propos d’une décoration
qai lui a été conférée, il répond, et à la première ren¬
contre elle succombe — et c’est ensuite l’épouvantable
désillusion de la femme qui s’imaginait avoir conquis
I'homme, et qui le voit disparaitre après une nuit
d’amour.
M. Schnitzler excelle surtout dans la notation à pen
près précise du tourbillon de pensées qui s’agitent
dans un cräne. Chez l’homme qui observe et qui réflé¬
chit, il se produit un mouvement cérébral incessant,
une chimie capricieuse, un va-et-vient contradictoire.
Les pensées se prolongent démesurément ou se cas¬
sent avec brusquerie, s’emmanchent dans d’autres,
disparaissent pour surgir me-difiées par un not, par
le reflet d’un couleur, par un son.,, et bien, c’est cette
effarante et bizarre activité des cellules cérébrales qui
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LES SEMAILLES — JANVIER 1902
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(amourette) qu’on joue en toute ville eten tout temps.
Pour me préciser, je dirai que M. Schnitzler est un
Alfred Capus allemand, — ou plutôt viennois: il en
a la légèreté de touches, le don de savoir ne pas ap¬
puyer sur des situations périlleuses, et l’humeur un
peu sentimentale, mème parmi le rire.
J’appréciais moins M. Schnitzler comme romancier,
et voici que je viens de recevoir un roman, — ou plu¬
tôt une longue nouvelle: Frau Bertha Garlan, qui,
sans prétention aucune, n’en est pas moine un petit
chef-d’teuvre.
C’est l’histoire banale et redoutable d’une femme
amoureuse — une de ces Temmes amoureuses comme
on en rencontre tanten Allemagne, qui semblent avoir
perdu leur équilibre vital, et dont le corps n’est plus
qu'un calice qui s’offre. — Bertha est éprise d’un mu¬
sicien qu'elle a connu toufe jeune au Conservatoire,
qu'elle a aimé nafvement —- et qui est devenu célébre
et riche. La vic les a séparés pendant dix années;
veuve et libre, elle lui écrit à propos d’une décoration
qai lui a été conférée, il répond, et à la première ren¬
contre elle succombe — et c’est ensuite l’épouvantable
désillusion de la femme qui s’imaginait avoir conquis
I'homme, et qui le voit disparaitre après une nuit
d’amour.
M. Schnitzler excelle surtout dans la notation à pen
près précise du tourbillon de pensées qui s’agitent
dans un cräne. Chez l’homme qui observe et qui réflé¬
chit, il se produit un mouvement cérébral incessant,
une chimie capricieuse, un va-et-vient contradictoire.
Les pensées se prolongent démesurément ou se cas¬
sent avec brusquerie, s’emmanchent dans d’autres,
disparaissent pour surgir me-difiées par un not, par
le reflet d’un couleur, par un son.,, et bien, c’est cette
effarante et bizarre activité des cellules cérébrales qui