I, Erzählende Schriften 3, Sterben. Novelle, Seite 46

3.
Sterben
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MmMM
MOURIR
2
Le livre qui vient de paraitre sous ce
titre et affecte la forme de roman est, en
réalilé, un drame très serrd, circonserit
autour de trois persehnages: un malade
sa compagne; son ami médecin. Porson
nages que l'’auteur a voulu si peu con¬
crets, qu'il a dédaigné de nous dire leur
histoire, leur situation dans le monde,
voire mème leurs noms de famille. FéliX
Marie — Alfred; tels sont les vagues
appellations qu’il leur a données; sim
ples étiquettes collées sur des fragments
scientiliques.
Car il s’agit d’un cas; non d’une his¬
toire. Meme, pour plus de clarté, l'au
teur a pris ce cas au début précis de sa
période aigue, le conduisant ensuite jus¬
qu'a sa terminaison mathématique e
prévue.
Un homme jeune ei souffrant a con¬
sullé un spécialiste en cachette de son
médecin ordinaire. Brutalement, avec la
sereine cruauté de quelqu'un pour qui
naitre et mourir sont de trop connus
phénoménes, l’homme de science lui a
dévoilé la vérilé sans fard: il lui reste
uste un an à vivre
Le malade est rentré chez lui léte
basse, à peine plus paie qu'à l’ordinaire,
et plusieurs heures s’écoulent avant qu'i
se décide à révéler la lugubre prophétie
— Alors commence la rude joute de
l'homme avec la mort; et cela pourrait
s’intituler Les derniers jours d’um
condamné v. On y peut distinguer trois
périodes bien tranchées, et pourlant cela
forme un tout dont on ne saurait déta¬
cher une parcelle, car ce lout est com¬
posé de faits minuscules, notés jour par
our, heure par heure, avec une si im¬
placable vérité qu’on éprouve à lire ce
livre une improssion de cauchemar. On
dirait un filet vous enserrant dans des
mailles inflexibles.
Achaque page augmenie le crescendo
d’effroi et de tristesse. Le malade, un
homme intelligent, affiné, capable de
s’observer et par cela mème de souffrir
plus qu'un autre, passe par loutes les
phases du doute, d’un fragile espoir
d’une certitude rendue plus affreuse par
sa propre lucidité.
D’abord il est heureux parce que ses
facullés lui semblent doublées; parce
que la gräce des fleurs, la suavité d’une
nuit diamantée d’étoiles, la caline beauté
de son amie lui sont devenues plus pré
cieuses, font tressaillir ses nerfs de vi¬
brations inéprouvées. II est malheureux
en méme temps, parce qu’au travers de
ces sensations voluptuenses résonne ie
refrain de mort qu'il ne peut oublier
sommation intimant: 4 Tu Tarréleras
la! p
Mourir, par Arthur Schnitzter. Traduit de
l'allemand par Gaspard Vallette. — Lausanne
Payot, éditeur.
31 Feuilleton de La Tribune de Lausanne
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Et ces deux impressions se melent, se
confondent, s’entrelacent si dien, que
cela devient à la longue une épouvanta
ble fatigue, une lorture valant les plus
raffinés supplices. Cette pudeur farouche
à avoder son mal, cette espéce de super¬
stition qui lui faisait craindre d’évoquer

ne füt-ce que par des mols vaguer
a Chose annoncée celte horreur de sa
prochaine et fatale décrépilude — toutes
ces dernières délicalesses s’eflondrent
un jour, pulvérisées par la lente pous¬
sée de l’idée fixe.
Plus de lierté. Maintenant l’homme
s'abaisse en une plainte éperdun: aDésar¬
mé! desarmé! La chose en elle mème
n’est pas si terrible — Mais étre ainsi li¬
vré sans défense! n
Sentir que les vivanis, les bien por¬
tants, les sans-souci, ne peuvent le ti¬
rer de cet abime, ni lui rendre l’espoir
ni partager avec lui le moindre de ces
jours qui leur restent à foison! L’injus¬
tice lul parait dépasser la mesure. C’est
pourquoi il devient méchant.
Une jalousie le lenaille devant ceux
qui dorment en paix, qui mangent avec
appétit, qui possedent un corps sain, #n
regard brillant, des mains fraiches et re¬
posées. Car ces privilégiés n'ont cure de
devenir, eux aussi, plus lard, des objeis
de pitié et de dégont! all voyait mar¬
cher devant lui ce qutil haissait ie plus
au monde: une parcelle de ce qui sera
encore lä, quand Juin’y sera plus, quel
que chose qui sera encore vivant et qui
ira, quand il ne pourra plus, lui, ni rire
ni pleurer.
Etre assailli par des sentiments pareils,
quelle honto! Ces choses basses et mau¬
vaises, impossible de les avouer, II en
souffre, pourtant; jour et nuit elles le
hantent. Ainsi chaque minute apporle
avec elle un nouveau contingent d’é¬
preuves. Et personne, jamais, ne par¬
vient à le distraire de l'/dée! Jusqu aux
précautions prises qui, sous un faux air
d’intérêt, lui rappellent — vint il àl’on¬
blier — en quoi il n’est pas pareil aux
autres! Cette femme qui l’entoure Je
soins trop minutieux le tait devenir har
gneux et déflant, l’incite à chercher le
dléfaut de ce qu’on veut lui présenter
comme une marque d’intérêt et de ten¬
dresse
Ne criez pas à l’exagération. Observez
plutôt combien cette gradation de senti¬
ments est bien vue et bien notée; cal
trop souvent la souflrance, au lieu d’épu
rer, produitl’effet contraire, Etje félicite
l'’auteur qui, au lien de nous proposer en
exemple un malade suprahumain, nous
atout bonnement montré un mortel va¬
lant ce que vaut la grande majorité des
hommes. Du reste, l’enseignement quise
dégage de ce speclacle est tout auss
émouvant que celui offert par une verlu
sans défaillance. Les doutes du malheu¬
reux, ses retours en arière, ses aclions
blessantes, immédiatement suivies de re¬
5
é1é plus rapide que nele pensait Philippe
Dormelles et que le pont rustique ait é16
emporté, il épargnait à son lieutenant
fatigue et déconvenue; si, au contraire,
mords déchirants, Certes: tout celd Cor
mande l’indulgence
Comment tenir rigueur à un méchan
qui se punit lui-mème“ Lorsque le m
lade accuse celle qui le soigne avec
plus pur dévouement ode ne rien faire
pour lui;n lorsqu'il se suggère à lui
méme aque le marlyre de la jaune fem¬
ne ne lui parait pas authentiquen, com¬
ment ne pas s’attendrir sur ce misérable
ou, qui, à d’abominables douleurs phy¬
siques ajoute délibérément les pires dou¬
leurs morales?
Le dénouement approche, l’excès d’in¬
fortune parvient à son comble. Non seu¬
lement le malade en veut à la femme al¬
mée de sa santé qui résiste aux épreuves,
de son épanouissement de belle fleur,
mais il lui refuse le droit de continuer à
exister, lorsque lui ne sera plus. Ayant
torturé la malheureuse de son humeur
injuste et soupconneuse, il réve de la
torturer dans sa chair, d’en faire un ca
davre hideux qui se désagregera en mé¬
me temps que le sien, II guette son
heure, et, dans un suprème effort d’éner¬
gie, tenie de l’étrangler. Mais la jeune
emme parvient à se dégager. Affolée et
révoltée, elle s’enfuit à la recherche d’un
secours, et pendant ce temps le malade
expire, désespéré de n’avoir pu l’emme¬
ner avec lui, pas du tout repenlant de
son crime avorlé.
On le voit, l'auteur ayant posé cetle
question redoutable: Vaut-il mienx con¬
naitre ou ignorer l’heure-de#sa mort? a
conclu sans hésiter en faveun de l’igno¬
rance. Qu'on roit ou non de celavis, 11
faut convenir qu’une pareille préoccupa¬
tion n’est peint d’awesprit banal, Cest
pourquoi il faut remercier M. Gaspard
alletle d’avoir mis sa langue artistique
et précise au service de cette Cuvre som¬
bre, poignante et torturante: de nous
avoir ainsi révélé un des cotés graves et
apiloyés de la moderne littérature alle¬
mande.
Madame GEORL ES-RENARD,
A I’Exposition nationale.
(Suite du Groupe 19).
Genéve, le 14 mai 1896.
Brooke ei Kuhn (Genéve) exposent de
jolis échantillons de zincographie, d’au¬
tolypie et des clichés typographiques.
Aug. Martin ei Cie, Ardon (Valais), de
superbes afsiches.
Très intéressants à voir les caraclères
en bois de Roman Scherer, à Lucerne, et
les jolis emballages en plomb d’Hoffmann
(Thoune).
La lithographie artistigee de Zurich,
Thuile etaquarelles en tous genres. C’est
elle qui a illustré, entre autres, I’Armée
suisse, peinte par Estoppey, ainsi que
plusieurs albums de Mile V. de Nider¬
haüsen. Cette maison expose en outre des
sorte de lueur vaporeuse émanée par ré¬
flexion de la surface des eaux éclairait
vaguement le fond du thalweg. On pou¬
vait distinguer, — gris foncé sur noir in¬
nnos Vapmas Ja
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