II, Theaterstücke 23, Der Schleier der Pierrette, Seite 243

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23. Der SchleienderPierratte
n Lettre de Vienne
W
□Avrz-vous pourquoi la Joconde sourit si mystérieusement? Simplement parec
qu'elle entendit répéter mille fols par des milliers de spectateurs extasies qutelle
valait denx ou trois milllens. — Caruso ctait à Vienne la semaine derniere. 11
esdvenu, il a vaineu, en souriant. 11a eu le sourire.,, de la Joconde.
C’est ainsi que nous avons ouvert la saison. Rassuregevous, je n'ai pas l’intention
de vous parler longuement du celehre tenor, de vanter encore unc leis ee #nnhre incom¬
#aplrable et de celebrer à nouvenu toute la douceur prenante de sa voix. Non. Je vous
dirai tout simplement qulil a desillusionné T’auditoire et que rien n’est moins com¬
prehensible que la renemmée extraordinaire dont ce grand tenor jouit aupres du gros
public, alors qu'il n’est au fond qu'un chanteur pour connaisseurs. pour initics. Sa voix
a gagné encore en qualité, mais elle a sürement perdu en quantite. Certaines notes
viennent du nez, et le plus amusant est que la critique d’icia feint de les tenir pour des
notes de poitrine aux deux premières représentations, Bajasso et Rigolello chantées
en italien, pour s’apercevoir qu'elles venaient d’ailleurs le dernier soir, celui de
Cärhen ou Caruso a chanté en français, très correctement du reste, II ne faut faire
aux grands ténors nulle peine möme légère. Mes confrères viennois ont en consé¬
quence tres galamment attribuc ces notes nasales aux nécessites d’unc correcte pronon¬
ciation française. Ainsi le cog gaulois chanterait du nez: Chantecler parle du nez, du
nez de Cyrano mème, peut-être. Voila evidemment un moyen original de nous révéler
T’unité profonde de l’cuvre de M. Edmond Rostand.
Je devrais m’étendre un peu sur la manière dont Caruso qui est un admirable
acteur joue le röle de don José dans lequel il est, je crois, inconnu en France. Géné
dans Tuniforme des deux premiers actes qui le fait ressembler à un Napoléon très ven¬
tru, il ne redevient lui-méme que dans les deux derniers qulil joue avec unc passion et
une fugue incomparables.
Jindiquerai simplement encore que M. Carusochantait ich au terif ultra-americain
de 15.000 franes par soirée. Un statisticien de mes amis m’a alhirmé que, le soir de Ba¬
Juszo, chaque note revenait ainsi à 15 francs environ, et ily a dans la partition beau¬
coup plus de croches que de rondes. II semble évident qu’à ce prix la croche est vrai¬
ment unc note dapothicaire.
On a profité du gala Caruso pour nous donner à l’Opéra Imperial, en méme temps
que Bajaggo, lo première représentation du Porle de Piereite, pantomime en z tableaux,
d'Arthur Schnitzler, musique d Ernst von Dohmüyf. Trikur Schhitzler est un des
membres les plus en vue de la littérature dramatique allemande contemporaine, l’auteur
applaudi de la delicieuse et douloureuse Amowelte. M. Ernst von Dohnanyi est un
pianiste reputé. Voici donc de grands noms. Or, il nous a etc demontré ce soir-la qu'un
excellent auteur dramatique est en état, apres avoir éerit le Vorle de Beairtce, de sup¬
primer tout le texte et de faire, sous le titte Le Vorle de Piérette, une fort mauvaise
pantomime, II nous fut ainsi clairement cemontré que s’il est vrai que tous les grands
Kgompositeurs ne sont pas de bons pianistes, la reciproque est juste. Mais ccla n'est vrai¬
ment pas nouveau et nous avions déja l’exemple d’Eugene d’Albert, dont le T##land
aobtenu en Allemagne un succes que je considère comme néfaste.
#e T##le de Piereite n'aura pas de telles eeosequences. On peut mäme dire de cette
„pantomime qufelle est sans conséquence. Etc’est fort bien ainsi. Car le Pierrot et l’Ar¬
lequin dont il s’agit ici ne sont pas les traditionnels et delicieux pitres sentimentaux en
rupture de tréteaux, mais bien deplorables névropathes échappés de quelque salle de la
Salpétrière.
Le corps et T’esprit
En capilotade
Gravement malade
Pierrot tient le lit;
— —
Et. Jlans. sa dem. zure
Colombine pleure
Lamentablement
Et prie humblement
Dien d’etre clement
Pour que son amant
Ne meure
Le pierrot moderne n’est plus comique ou tragi-comique, il est tout simplement
tragique. Cette pantomime en est la preuve. Nous y vovons Pierrot s’empoisonner au
premier acte, son spectre rénpparaitre au second et son endavre partieiper au troisieme.
Quant à Pièrette, elle devient folle à la fin du troisieme tableau. Tout cela ne manque
pas de gaieté, comme vous voyer.
Tout le monde aura à cceur d’oublier le Vorle de Pierette pour ne plus se sonvenir
que des figures delicates et si vivantes que nous devons au talent si lin et plein d’émo¬
tion de M. Arthur Schnitdler.
Pour une pareille pantomime. M. Ernst von Dohnanyi n’était certes pas Ihomme
de la situntion. Ses dons sont almables dit-on. et son penchant vers la grüce ne s’est
guère trouve favorise par un scénario aussi sombre, dont le troisième tableau pourrait
tres bien se passer à la Morgue. La eritique viennolse a éte assez bienveillante pour
M. Ernst von Dohnanyi. Ses amis lui font mème des compliments.
L’interprétation était bonne, méritoire meme. Le publie n’a pas confondu dans les
mèmes applaudissements les auteurs et les interpretes.