II, Theaterstücke 4, (Anatol, 8), Anatol, Seite 568


a de que ce de quo
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ont conféré le pouvoir de réaliser un instant
écrire l'histoire du théâtre du vingtième siècle
boires qui nous amusent à la lecture étaien
celui de l'illusion, au lieu que jadis elle n'au
et de la fin du dix-neuvième, histoire si proche
dramatiques en fait, car ils représentaient des
rait pu que l'évoquer, et que, par conséquent
de celle de la poésie, de la littérature en géné¬
débours très onéreux pour les bourses vides
de nombreux spectateurs en seraient restés au
ral, du journalisme et des façons de vivre de
Mais je ne puis énumérer ici toutes les pièces
sens des mots, et à la représentation hardie
la jeunesse littéraire de ces temps qui nous
jouées par l'œuvre en cette période couvres
des scènes de la vie d'une fille publique. Mais
paraissent déjà si lointains. Quel amour du
de Quillard, Auguste Villeroy, Romain Colus,
ces considérations sur la part de l'électricité
théâtre en ce jeune Lugné-Poe qui, sans le sou¬
Trezenie et Soulain, Edmond Sée, qui y de-
dans l'art dramatique moderne m'entraîne e
et sans véritable appui, finissait par jouer ce
but avec sa rebis, devenue célèbre, Tristan
je me hâte de revenir à l'amusant et si instruc¬
qu'il voulait, imposer les noms qu’il admirait,
Bernard, che dont il joue l'Araignée
tif et vivant livre de Lugnée.
voyager, jouer en tournées, fonder un théâtre,
de Crista) de 1894 à 1902, ni toutes les
Nous y trouvons maints portraits, et d'abord
ce théâtre de l'Œuvre devenu célèbre et qui
rencontres et amitiés de Lugne et de son
celui de Berthe Bady, qui accompagna la
contribua à orienter puissamment l'art dra¬
théâtre (ici quelques portait de peintres
troupe dans la fameuse tournée que Lu¬
matique vers tout ce qui était neuf et hardi,
très précieux : Toulouse-Lautre, Vuillard,
gné organisa en Norvège pour jouer en
et vers le théâtre étranger. Je dis « contribua »
etc., etc), mais je ne veux pas terminer
français les drame d'Ibsen, devant Ibsen.
et à la réflexion ce verbe est insuffisant
cet insuffisant article — le livre de Lugne-Po¬
Cette fervente audace, qui vainc toutes les
L'Œuvre, à elle seule, imposa de certaines di¬
méritant des pages et des pages, et je ne peux
difficultés matérielles, d'un tout jeune homme
rectives théâtrales et guida le goût de l'époque
qu’y renvoyer mes lecteurs — sans noter que
hardi, confiant et puisant son courage dans
où elle naquit. Le Théâtre Libre, avec Antoine,
ce livre se termine sur la représentation d'Ubu
une admiration fétichiste pour le grand Ibsen,
s'était engagé parallèlement sur une autre voie,
Roi d'Alfred Jarry. Lugné hésitait fort, et on
tout cela a un accent qui émeut tout en restant
dans son genre aussi hardie (pour le siècle)...
le comprend, à représenter cette farce extra¬
si vrai, si jovial dans les petits détails de mé
Et au fond, depuis lors, qu'a-t-on inventé de
ordinaire, cette bouffonnerie devenue légen¬
comptes, d'ennuis variés, de manque d'argent
nouveau ? Cette soif des sources étrangères que
daire. Mais Jarry tint bon, et Rachilde, qui
ou de déconvenue. Mais Ibsen l'accueillit, mais
Lugné-Poe a étanchée le premier ou un des pre¬
le protégeait beaucoup, décida enfin Lugné et
Ibsen vint le voir jouer, lui et sa troupe, et se
miers, nous la ressentons toujours. J'ai rendu
Gémier accepta le rôle inoui du » Père Ubu »
montra au balcon avec Bady, et les étudiants
compte depuis peu de semaines de la pièce de
Des lettres de Jarry, publiées par Lugné, sont
norvégiens les acclamèrent. Heures inoublia
Bruckner à l'œuvre qui, voici peu de mois,
fort curieuses et expliquent comment on doit
bles et si admirables dans l’effervescence pleine
jouait avec tant de succès La Folle du Logis
représenter son œuvre. Il donna sans doute
de Grand Hôtel aux Folies-Wagram, de la de sive de la jeunesse. Beau souvenir et aussi
aussi toutes les indications nécessaires sur le
belle leçon, car Ibsen dit à peu près à Lugné :
pièce tirée du roman de Zweig à la Madeleine
parler Ubu », dont les modulations tour à
« Je suis un être de passion ; mon œuvre est
de La Route des Indes, de la charmante
tour pointues ou rauques furent adoptées pen¬
une œuvre de passion, il faut me jouer avec
comédie de Noël Coward aux Mathurins,
dant fort longtemps ensuite par tous les
passion... » Cet aveu, ce conseil eurent une
etc., etc. Le théâtre de l'Avenue a représente
spectateurs, aussi bien les indignés que les en¬
immense portée et transformèrent la compré¬
toute une série de pièces de Tchéhov et
chantés. Première d'Ubu Roi ! J'y étais. Je ne
hension insérienne de Lugné-Poe.
nous convie à une pièce de Schnitzler (traduite
l’ai jamais oubliée. C'était déjà une parodie du
Portrait d'Herman Bang, « le Diable du théâ¬
cette fois-ci, en français), Anatole... Strindberg,
futur. Gémier y fut admirable sous son dégui¬
tre ». Aimé d'Ibsen, adressé par Prozor à Lu¬
découvert par Lugné-Poe voilà trente ans, est
sement insensé qui en faisait une machine ani¬
gné, il était venu à Paris aux Bouffes du Nord
plus à la mode que jamais à Paris. Seule, l'étoile
mée. La marche des Palotins qui, derrière un
pendant les dernières répétitions d’un drame
polaire du grand Ibsen qui eut une telle in¬
paravent, s'accroupissaient ou se relevaient,
d'Ibsen. « Il brûlait en lui un feu extraordi¬
fluence sur tout le théâtre du début du siècle
figurant les méandres d'une armée en marche
naire », et il accompagnait désormais la jeune
semble un peu pâlie, mais à peine, et prête
était composée par Claude Terrasse avec un
troupe, la dirigeant, la conseillant. Portrait de
à rebriller de tous ses feux ; car lorsque Mme
humour musical impayable. Le « croc à phy¬
Suzanne Després à ses débuts lorsqu'elle vient
Pitoëff joue Maison de Poupée, c'est une lon¬
nances », la « fosse à nobles », toutes ces bar
toute jeune chez Lugné, désirant être engagée
gue suite de vrais triomphes et quand Lugné
bares folies, n'était-ce pas déjà une sorte d'es
dans sa troupe. Lugné, frappé de ses dons ex¬
rejoua Solness, on se sentit étreint de nouveau
quisse de bolchevisme, de mécanisation? Louise
ceptionnels, lui conseille le travail, l'envoie
par tout ce que le drame contient d'éternelle¬
France était fort superbement haute en couleur
chez Worms... et ainsi se rencontrent les des¬
ment humain en ses hautes ambitions, en ses
en Mère Ubu. On sait le scandale et l'amusement
frissons contradictoires, en l’achèvement déri- tins faits pour s'unir et se révèle une de nos plus
grandes artistes ; portrait d'Henry Bataille et de la pièce. Toute la salle, debout, criant en chœur
soire d'une grande destinée. Si les détails « da¬
le mot du début de la pièce, ce mot historique
amusantes péripéties à propos de sa première
tent », le cœur de l'œuvre est toujours là, sans
auquel Jarry avait ajouté un r; sifflets, huées
œuvre, La Belle au Bois dormant; amusants
âge, comme celui qui bat dans les corps, tou¬
protestations, applaudissements, controverse¬
croquis d'Henri de Régnier, dont l'œuvre re¬
jours pareils, bien que tout ce qui les entoure
passionnées. Depuis, on nous affirma que Ubu
présente La Gardienne, beau poème mystérieux
ait changé. Amour et curiosité des drames
Roi n'était qu'une force de potaches gribouillé¬
dialogué, qui permit « un des premiers échantil¬
étrangers, nous les avons donc plus que jamais
par Jarry au collège avec des amis blagueurs
lons de mise en scène moderne. Le poème fut
et dans les nouvelles pièces françaises, les piè¬
Cette farce eut un effet considérable : « Ubi
dans l'orchestre, tandis que sur scène des ré-
ces de jeunes, sont-elles d'un esprit très diffé¬
passa pour avoir été une grande soirée et, de¬
tants, derrière un rideau de gaze », mimaient
rent de celui de leurs aînés ? Si on rejouait
puis, cette répétition générale est restée dans le
L'intrusse de Maeterlinck, en la signant d'un les moments du poème. Et, à ce propos, Lugné
annales du théâtre. » Et ce que Lugné aurai
raconte que Henri de Régnier, pour un dernier
nom inconnu qu'on affirmerait celui d'un tou
bien du nous décrire aussi, c'était la salle: les
avis, vint le relancer au bord d'une piscine,
neuf auteur, on jugerait que son sens du mys¬
dames à la Botticelli, d'autres encore plus
rue Montmartre, où Lugné nageait et barbotait.
tère est bien de nos jours. Ce qui donne au
moyenageuses, aux bandeaux, aux ferron
« Lugné-Poe ! Lugné-Poe ! L'ombre se pen¬
théâtre actuel un aspect nouveau, ce sont, bien
nières, aux fourreaux de traînantes soies
chait sur l'eau. Je reconnaissais un monocle,
plus que les textes, les mises en scène, les
et qui semblaient avoir laissé leur Li
une moustache éperdus, l'ombre, le monocle, la
décors, et surtout, surtout, les éclairages, les
corne féerique à l'entrée du théâtre, com
moustache risquaient de tomber... » La scène
possibilités diverses, merveilleuses, de la lu¬
me on y laisse aujourd'hui sa petite Citroën
est drôle et au fond, malgré sa drôlerie, c'est
mière. Elles ont permis, ces possibilités, de re¬
applaudissant à tout rompre le mot de Cam
une histoire « symboliste », avec poète et reflet
nouveler le sens du fantastique. Inutile de pla¬
bronne et d'Ubu; c'était comme une revanch¬
cer les aventures des personnages dans des dans l'eau et nageur qui s'ébroue...
grossière et parodique sur le rêve et les beaux
Et nous voyons passer Camille Mauclair,
siècles lointains afin d'obtenir, par cet effet de
nuages mythologiques de la poésie symboliste
Maeterlinck, dont Lugné joue, après Pellés,
recul et de costumes, une atmosphère inactuelle
sur les richesses exactes et scintillante, de¬
L'intruse ; Beaubourg, dont il joue L'Image
et plus propice à la fantaisie et au rêve. Tôtes
poésie parnassienne, et en même temps c'était
Georges Hugo, bienveillant et charmant, qui
de rechange, de M. Victor Pellerin, par exem¬
une dérision des réalités et des bassesses à
vient si volontiers en aide aux artistes ; et Jean
ple, ont pu, grâce à la lumière, se situer de
naturalisme. Le père et la mère Ubu gamba
Lorrain, qui tint à faire jouer à l'Œuvre sa
nos jours et nous offrir une sorte de fantasti¬
daient avec une outrance d'affreux enfants bur¬
Broceliande, etc., etc. Lugné joue les drames
que moderne que le mobilier, les habits, etc.,
lesquement déchaînés sur toutes les modes
d'Ibsen, de Strindberg, il joue La Venise sauvée
ne troublaient point parce que éclairés de la
d'Ottway, il joue Le Chariot de terre cuite de moment... et dépassant les visées de leur auteur
bizarrerie nécessaire. Vous m'objecterez que la
is incarnaient d'avance ces guignols hideux
Victor Barrucand... Là tous les acteurs étaient
fantasmagorie de têtes de réchange était tout
déjà bolcheviks, certaines horreurs que précis
nus et peints ; c'était, pour l'époque, une hardies¬
intérieure et que celle de L'Intruse est, en
l'avenir. Mais je n'ai pas eu la place de parle
se insensée; elle passa, et j'ose à peine dire qu'on
somme, extérieure. Mais que les rêveries d'un
assez longuement de ce livre si plein de chose
utilisa les costumes pour jouer ensuite L'An¬
homme s'extériorisent ou que les forces malé¬
Lisez-le, lisez-le.
neau de Sakuntala de Ferdinand Herold. Et
fiques du sort arrivent à pénétrer jusqu'aux
Gérard d'Houville.
puis on joue la Salomé de Wilde, hardiment,
humains, à violer leur intérieur et à changer