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1. PamphletsOffbrints
LA NOUVELLE REVUE
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guère dans ses historiettes. M. Schnitzler en use tout autrement.
Ses nouvelles sont à pen près vides de dialogues et l’actionen est
fort mince. C’est le plus souvent d’une manière indirecie, par des
conversations, par des propos de tierces personnes, que les cir¬
constances du récit nous sont exposées. La dernière Chanson,
par exemple, un chef-d’ouvre, est construite sur ce plan-la. Les
sentiments dont le cceur de l’héroine déborde, sentiments d’une
violence extréme puisqu'ils la poussent au suicide, sont montrés
uniquement dans les conversations des personnages secondaires.
Il en résulte peut-être un affaiblissement de cet intérêt drama¬
tique qui s'attache à la représentation directe des événements,
mais à ce recul dans l’espace et dans letemps, les faits rapportés,
les ligures évoquées doivent une sorte de gräce lointaine, d’émo¬
tion apaisée et discréte qui ont aussi leur charme et leur prix.
Mais, si je ne comprends guère que les Allemands d’Allemagne
s’obstinent à dénoncer une parenté étroite entre Maupassant et
M. Schnitzler, je conviens, d’autre part, que les récits de l’auteur
viennois ont un certain air ode chez nous 9 trés apparent. Ces
contes aimables et vifs, tout pleins de clarté, de fine malice, de
mélancolie élégante, d’une ironietempérée de sentiment ou d’une
sentimentalité tempérée d’ironie, relévent de la tradition fran¬
çaise et latine bien plus que de la tradition allemande. L’Alle¬
mand nese meut point à l'aise dans un cadre on T’espace lui est
si mesuré. II dit médiocrement lorsque les convenances d’un
genre littéraire l’empéchent de tout dire, de tout dire abondam¬
ment. Le Décaméron de Boccace, les Contes de La Fontaine sont
des chefs-d’ouvre latins. Les contes de M. Schnitzler, si marqués
qu'ils soient à Tempreinte germanique, sont de la mèine famille.
Entre les nouvelliers c allemands d’Allemagne ), surtout de
l’Allemagne du Nord, tels que M. Raabe, et les nouvelliers
français du genre Maupassant, I’Autrichien Arthur Schnitzler
constitue un chainon intermédiaire, moins rapproché, certes, —
malgré l’identité de lidiôme — du type Callemand d’Allemagne)
que du type français.
* .
Observons d’un peu plus prés M. Schnitzler. Dans quelle
sphére se meut-il? Quels sentiments met-ilen cuvre? M. Anatole
France a dit un jour de M. Pierre Loti: cIl connait les diverses
figures que Tunivers nous montre et il sait que ces ligures, en
apparence innombrables, se réduisent réellement à deux: la
ligure de Tamour et celle de la mort. 9 La méme observation
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Ssic
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1. PamphletsOffbrints
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guère dans ses historiettes. M. Schnitzler en use tout autrement.
Ses nouvelles sont à pen près vides de dialogues et l’actionen est
fort mince. C’est le plus souvent d’une manière indirecie, par des
conversations, par des propos de tierces personnes, que les cir¬
constances du récit nous sont exposées. La dernière Chanson,
par exemple, un chef-d’ouvre, est construite sur ce plan-la. Les
sentiments dont le cceur de l’héroine déborde, sentiments d’une
violence extréme puisqu'ils la poussent au suicide, sont montrés
uniquement dans les conversations des personnages secondaires.
Il en résulte peut-être un affaiblissement de cet intérêt drama¬
tique qui s'attache à la représentation directe des événements,
mais à ce recul dans l’espace et dans letemps, les faits rapportés,
les ligures évoquées doivent une sorte de gräce lointaine, d’émo¬
tion apaisée et discréte qui ont aussi leur charme et leur prix.
Mais, si je ne comprends guère que les Allemands d’Allemagne
s’obstinent à dénoncer une parenté étroite entre Maupassant et
M. Schnitzler, je conviens, d’autre part, que les récits de l’auteur
viennois ont un certain air ode chez nous 9 trés apparent. Ces
contes aimables et vifs, tout pleins de clarté, de fine malice, de
mélancolie élégante, d’une ironietempérée de sentiment ou d’une
sentimentalité tempérée d’ironie, relévent de la tradition fran¬
çaise et latine bien plus que de la tradition allemande. L’Alle¬
mand nese meut point à l'aise dans un cadre on T’espace lui est
si mesuré. II dit médiocrement lorsque les convenances d’un
genre littéraire l’empéchent de tout dire, de tout dire abondam¬
ment. Le Décaméron de Boccace, les Contes de La Fontaine sont
des chefs-d’ouvre latins. Les contes de M. Schnitzler, si marqués
qu'ils soient à Tempreinte germanique, sont de la mèine famille.
Entre les nouvelliers c allemands d’Allemagne ), surtout de
l’Allemagne du Nord, tels que M. Raabe, et les nouvelliers
français du genre Maupassant, I’Autrichien Arthur Schnitzler
constitue un chainon intermédiaire, moins rapproché, certes, —
malgré l’identité de lidiôme — du type Callemand d’Allemagne)
que du type français.
* .
Observons d’un peu plus prés M. Schnitzler. Dans quelle
sphére se meut-il? Quels sentiments met-ilen cuvre? M. Anatole
France a dit un jour de M. Pierre Loti: cIl connait les diverses
figures que Tunivers nous montre et il sait que ces ligures, en
apparence innombrables, se réduisent réellement à deux: la
ligure de Tamour et celle de la mort. 9 La méme observation
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