Stonaturennen
zpill.
Arthur SCHNITZLER, le poete de Tironie
—a
A Vienne, sa ville natale, mourut, dans
naissance allemande, inaugurée par Heine,
Des dernières semaines de 1931, Arthur
qui rassembla T’héritage dispersé de Gethe
Schnitzler. Lu littérature antrichienne
et de Schiller et donna à sa poésie roman¬
venait de perdre, en lui, le plus original,
tique le tour social, ia grandeur humaine
le plus délicat et le plus profond de ses
atteinte par Hauptman dans des Tisse¬
podtos
rands, par Sudermann dans Zu cloche
Dramaturge, écrivain, essayiste, Schnit¬
engloutie.
zler représenta un mélange enchanteur de
Si Schitzler prit pour leit motiv éternel
tous les éléments moraux qui font de l’art,
ce theme éternel: Pamour, et pout armes:
en memne temps qu'un aimable diverlisse¬
T’ironie, son euvre n’en cessa pas moins
ment, une arme au service de ln cause
de remplir une mission belle et diflicile;
humaine.
éveiller l’inquiétude, projeter la pitié d’un
Durant presque un demi-siecle, Arthur
echur humain sur toutes les misères hu¬
Schnitzler fut, en Autriche, le représen¬
maines de l’äme et de la chair. Ainsi, son
tant d’un naturalisme qui, né avec Sten¬
u Interlude n, prodige de subtilité, mer¬
dhal, se vétit de sombre réalisme chez
veille de profondeur psychologique, n’a
Zola et, chez notre auteur, d’une ironie
pas été dépassé par les maitres russes.
mélancolique.
Et si Dostolevski contempla le monde, la
Ses ceuvres, inquietes, imprégnées d’un
vie et les hommes avec ia perception aigué
fond d’angoisse et de démolition sociale,
de son regard de malade, avec cette hyper¬
les unes vigoureuses, les autres légères,
sensibilité qui est l’apanage des phtisiques
tomnbèrent comme des pierres dans la mare
et des névrosés, Arthur Schnitzler regarda
paisible et fétide de la société viennoise.
les hommes, la vie et le monde avec la
I faut que nous revenions aux jours ou
vision sereine et équilibrée d’un homme
Anatole n, cuvre d’un humoriste impla¬
sain, normal et gai, dans l’organisme de
cable et délicat, eruel et aimable, mélan¬
qui le raffinement de l’esprit faisait con¬
colique et joyenx tout à la fois, éclata
tre-poids avec la sensualité d’un corps en
comme une bombe dans ce milien d’opé¬
bonne santé et avide de voluptés.
rettes à la Franz Lehar. Après & Anatole „,
Comme tous les sensuels, Schnitzler était
piquant et andacienx, on une phiilosophie
mélancolique. (Je ne sais pas qui a dit que
légère et désenchantée fait défiler les sen¬
&la chair est triste v.) Et comme chez tons
timents et les étres devant les yenx des
les mélancoliques qui ne sont pas des ma¬
spectateurs, les dénudant à la manière
lades, la mélancolie s’enveloppait chez lui
freudienne, son & Liebelei n attaqun avec
de cette humour flne, de sette ironie pitoya¬
plus de violence et de hardiesse encore le
ble, subtile, pénétrante et deuce qu: font
probleme de l’amour et l’union des scxes.
des pages de son & Anatole n, de Sa & Ron¬
On a comparé Schnitzler à Porto-Riche,
de n, des petits chefs-d’unvre de la littéra¬
mort, comme on sait, à la lin de 1930, mais
trre moderne.
Porto-Riche, poête de l’amour et de la femn¬
mne, définisseur génial de sentiments, ne
Alfred Kerr raconte que Schnitzler vivait
donna jamais à son cuvre le caraetère
tonjours préoccupé de 1’idée de la mort.
social, l’intensité de rebellion qui font de
Mais cette pensée ne le tourmentait pas,
certaines des productions de Schntlzler les
n’assombrissait pas ses jours, n’en fit pas
dignes scurs de celles d’lbsen. Tel est cc
un mystique ténébreux. Au contraire, cette
Professeur Bernbardi o qui rappelle 6 Un
préoccugation stimula en lui le besoin de
ennemi du peuple 9 et & Le chemin de la
jouir de la vie. II considérait celle-ci com¬
liberté w qui est le problème pathétique, la
me une promenade à la fin de laquelle nous
tragedie du peuple juif, victime des lut¬
attend un #bime. Mais cette perception
tes de religion et de race.
claire de la fin n’annihila pas en lui le
plaisir des excursions, l’émotion humaine
des panoramas: amour, vie, lutte, gloire,
Schnitzler appartenait encore à cette re- réalisations de justice. Elle lui donna, au
intense du paciliste, de Pesprit independant
an milien de Pegarement de la tuerie, dans
son Clerambault; s’il dat vivre par Jui¬
meme cette tragedie, combien fut plus dur
encore le sort des esprits independants
dans les empire centranx! Combien füt
plus tragique cncore le drame chez un
Nicolat, un Latzko, un Stefan Zweig, chez
Sehmitzler Mi-mieme, qui, sans appartenir
au pacilisme militant, osa également con¬
server son independance, exposer cc qu’il
pensait & an-dessus de in mélée „.
Ni son prestige, ni sa situation de pa¬
triarche des lettres antrichiennes, de fon¬
dateur d’école, d’éducateur de la jeunesse,
ne ie sänverent de la persécution morale
et des insultes. II perdit son sceptre et,
amer, hautain, se retira de la lutte. C’est
à peine s’il ajouta quelque chose à sa pro¬
duction, perdant contact avec la générü¬
tion nouvelle qui T’eat compris et qui, ce¬
pendant, l’ignorait.
I1 a falln sa mort pour que l’on se res¬
souvienne de Schnitzler, signalé respec¬
tueusement par ceux qui lui avaient con¬
servé une fidélité de fils: Stefan Zweig,
Franz Werfel, en Autriche; Toller, Glae¬
ser, Remarque, en Allemagne, les nou¬
veanx, qui s’inelinèrent sur cette tombe
doubleinent ouverte par la mort et par
T’oubli.
*
Arthur Schnitzler vivait obscurêment de
la vie tranquille et monotone d’un petit
rentier on d’un fonctionnaire retraité. Au
retour de sa promenade quotidienne, après
le repas, il rentra dans son bureau et la;
assis dans un fauteuil de cuir, il s’éteignit,
un soir d’automne, doucement, sereine¬
ment, silencieusement. On le trouva mort;
il s’en était allé avec discrétion, sans brult,
sans pompe, dans une certaine amblance
hellénique.
Son génie, malgré son racialisme ger¬
inanique, son génie, tenait plus du latin
que du nordique. II y avait en lui beau¬
coup de choses qui rappellent Anatole
France, mais un France avec plus de prö¬
fondeur, plus capable de sonder et de scru¬
ter les abimes de l’ame humainel“
Et sa fin, tranquille, paisible, après une
longue vie, intense, impétueuse, ressem¬
blait davantage an passage de la vie se¬
reine à l’immortalité des Champs-Elysées
qu’à une entrée bruyante et triomphante
dans le Walhalla.
Jai sous les yeux une photographie qui
le représente aux approches de 70 ans, áge
on il mourut. Son visage est plein de bon¬
homie et ses yeux clairs et pénétrants mon¬
trent encore de la vivacité et de l’acuité.
Ce sont des yeux d’entomologiste qui su¬
rent contempler l’homme, le disséquant
comme un insecte, captant ses volitions
les plus secrêtes, mettant à nu so inti¬
mité, ce lieu secret on, recouverte par la
chair, l’äme vit et s’agite, secouée par la
passion, la douleur, l’amour et la haine.
Un de plus de disparu sur le chemin bor¬
de de chnetières sans fin! un autre pas¬
sant de tombé! une nouvelle fosse de fer¬
mée! un nouveau questionneur qui fran¬
chit le seuil du néant!
Annee vorace que 1931! Combien sont
morts et tombés cette année-la! Quelques¬
uns avec la fin de Schnitzler, chute de
feuille d’automne, les autres avec la fu¬
reur et le désespoir combatif de celui qui
contemple la vie non comme une prome¬
nade, mais comme une lutte sans tréve et
une constante ascension.
Tous, retournés au giron d’ou sortit la
matière immortelle qui, en eux, se fit flam¬
me, esprit, réve, idéal, divinité mème,
Ou'à tons la terre soit légère et qu'd.
nous, qui restons et qui montons, le piege
de la vie ne nous broie pas avant que
vienne la mort ! — FEDERICA MoNTSENy.
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