VII, Verschiedenes 13, undatiert, Seite 84


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l'analogie des productions littéraires: peu d'é¬
ni dans l'avenir, c'est d'être le poète d'un tout
crivains allemands ont moins imité les Français
petit monde fermé qu'on embrasse d'un regard
que Schnitzler, et pourtant aucun d’entre eux
et qui se confine dans les préoccupations mi¬
ne ressemble davantage à Maurice Donnay ou
nuscules de l'heure présente. De l'amour, de la
à Maupassant.
joie, un peu de mélancolie, beaucoup d'égoïsme;
Ses personnages n’ont ni la gravité, ni la rai¬
quelques viveurs, quelques grisettes, des ac¬
deur des Allemands du Nord ; ils sont plus lé¬
trices, des littérateurs et des officiers, voilà ce
gers et plus artistes. Les grands problèmes mé¬
qu'il décrit sans cesse. Et aucune de ces créa¬
taphysiques et moraux ne les préoccupent guère
tures frivoles et vibrantes de vie animale ne se
mais ils ont l'instinct de la vie heureuse. Ils
pose de questions troublantes sur la puissance
recherchent le plaisir comme des êtres naïfs,
de la volonté, sur la destinée humaine, sur le
prime-sautiers, tout proches encore de la na¬
sens moral de l'univers. Ces gens ne s'efforcent
ture, — ils en jouissent avec des âmes com¬
pas de réaliser un type, ils n'ont pas la préten¬
plexes, affinées par une culture excessive. L'idée
tion d'incarner quelque obscur symbole. Ar¬
de la mort ne les fait pas réfléchir, mais elle
thur Schnitzler ne pense pas, il se contente de
es trouble et les épouvante ; car ils aiment la
de peindre. En d'autres termes, comme les
vie avec sensualité et ils ne voient au delà que
classiques français, il fait de la psycholo¬
e néant.
gie sans y mêler de la métaphysique, et
L'auteur de Liebelei, d'Anatol, de Lebendige
c'est chose assez rare et généralement peu
Stunden ne semble pas avoir eu d’autre ambi¬
goûtée en Allemagne. Et, d'autre part, dans
tion que de faire l'analyse très subtile de ces
toutes ses œuvres (dont plusieurs, il faut
sentiments très simples et vieux comme l'hu¬
bien le dire, sont assez médiocres), Arthur
manité : le plaisir de vivre, la peur de mourir.
Schnitzler donne une importance très grande à
M. Schnitzler est le fils d'un médecin — il a été
la forme ; il veut avant tout qu’elle soit limpide
médecin lui-même ; c'est sans doute ce qui lu¬
et bien équilibrée, et qu’il se rapproche aussi
permis de rajeunir des sujets aussi banals. Pour
des habitudes françaises au grand scandale des
lui le vouloir vivre n’est pas une réminiscence
amateurs d'esthétiques nébuleuses. N'est-il
philosophique; c'est une brutale réalité qu’il a
donc pas permis de regretter que son nom scit
chaque jour anxieusement observée : dans la à peine connu en France, alors que, depuis
nouvelle intitulée Sterben, Félix révèle à son
Liebelei (1895), il est presque célèbre dans l'Eu¬
amie qu’il est destiné à mourir phtisique.
rope entière?
Elle l’aime, elle lui promet de se tuer quand
EDMOND FLEGENHEIMER.
l'heure sera venue ; mais il ne veut pas
qu'elle meure avec lui. Félix est courage
et généreux; Marie est gaie, naïve, sentimen¬
tale. Ils continuent de s'aimer. Ils oublient la
mort qui les guette. Mais la phtisie amaigrit et
défigure l’insoucieux amant ; et voici que, dans
son corps décharné, une âme nouvelle éclôt, une
âme égoïste, dure et jalouse. Il souffre et il
voudrait qu’on souffrit autour de lui ; il rappelle
cruellement à Marie sa promesse ; il exige
maintenant d'elle le sacrifice qu’il avait d'abord
refusé. Il la hait parce qu'il se sent mourir et
qu’elle a encore la force de vivre et, dans un ac¬
cès de désespoir et de délire, il tente de l'assas¬
siner. Cependant, chez elle, l’amour a fait place
à la pitié, puis la pitié à l'indifférence. Ce mori¬
bond l'effraye et l'ennuie. Tandis qu’il agonise,
Vienne resplendit au soleil du printemps nou¬
veau, Félix meurt, Marie s'enfuit délivrée.
La situation est plus singulière encore dans
un petit acte que Schnitzler a publié cette
année-ci : les Derniers Masques. L'auteur a
voulu montrer ici comment, à l'approche de la
mort, toutes les mesquines vanités d’une âme
vindicative peuvent subitement s'évanouir. —
Une petite chambre d’hôpital où causent ami¬
calement l’acteur Florian Jackwerth et le jour¬
naliste Karl Rademacher. Il ne leur reste pas
deux jours à vivre. L’acteur ne croit pas perdre
son temps à l’hôpital ; il y a fait une découverte :
c'est que par une intuition mystérieuse on peut
dégager d’un visage triste ou souffrant une ex¬
pression comique ; il suffit à Florian Jackwerth
de regarder un homme qui meurt pour savoir
quelle tête cet homme ferait si on lui racontait
un bon mot. Rademacher attend un « ami » sur
qui Florian pourra faire des études de physio¬
nomie. Il y a bien longtemps que le pauvre jour¬
naliste, le lamentable raté, n'a pas adressé la pa¬
role à son vieux camarade, le célèbre poète
Alexander Weihgast; il vient de le faire appeler
afin de passer un quart d'heure avec lui, et il se
promet de savourer pendant ce quart d'heure une
joie assez délicieuse pour compenser cinquante¬
quatre années de déboires et d'amertume. Voici
ce que Rademacher veut dire à Weihgast :
« Tu te crois sans doute beaucoup plus fort que
moi, mon vieux camarade. Eh bien! permets¬
moi de te détromper. Ce que je vais faire est